Les vacances constituent un excellent temps pour la lecture. Après la sortie de l’iPad, on peut se demander dans quel format lire le roman de l’été: en format poche ou sur reader? Une récente étude du gourou de l’ergonomie Web, Jakob Nielsen, montre qu’il faut entre 6 à 10% de temps supplémentaire pour lire un texte (en l’occurrence une nouvelle d’Ernest Hemingway) sur un reader (iPad ou Kindle), par rapport au temps nécessaire pour la même histoire dans un livre papier. Malgré tout, les participants à l’étude se sont déclarés satisfaits par la tablette en question.
Article sur CNN
Photo: MicMac1 (Flickr)
Je suis en train d’apprivoiser mon propre iPad. J’ai commencé par charger de nombreux ouvrages provenant du domaine public. Parmi eux, le Rouge et le Noir qui fait plusieurs centaines de pages. La lecture d’un roman semble fastidieuse sur le iPad et un format de poche me paraît plus agréable. Il en va autrement pour la poésie. Un poème se lit vite. L’application iBooks permet de rechercher un mot dans tout l’ouvrage, dans un dictionnaire (le français n’est pas encore disponible), sur Internet. Il est possible de mettre des passages en évidence avec différentes couleurs et d’ajouter des notes. Sans parler de la fonction copier-coller qui permet de publier un extrait dans un blog.
L’application Kindle d’Amazon, disponible pour PC, Mac, iPhone, iPad, présente encore d’autres avantages. Tout d’abord, il est possible d’avoir ses ouvrages sur plusieurs appareils. L’état de la lecture est synchronisé entre les différentes machines. Je peux lire un ouvrage sur mon iPad lorsque je suis dans un train. De retour chez moi, je reprends ma lecture sur un ordinateur et je me retrouve exactement à la page où j’en étais arrivée. L’application Kindle permet aussi de voir combien de personnes ont mis en évidence certains passages. Il est possible de voir rapidement les passages intéressants d’un essai. On peut parler de lecture collective.
Quand on dit livre, on pense roman, Proust, Balzac, Zola. Ces textes-là, on a de la peine à s’imaginer les lire sur un reader. Il en va de même du roman de l’été: on ne va pas embarquer le dernier Marc Lévy sur son iPad et le lire sur une plage. Pourtant il n’y a qu’à jeter un œil sur sa bibliothèque pour constater qu’il existe de nombreux types de livres qu’on ne lit pas de manière linéaire. Que l’on songe aux dictionnaires, aux guides de voyage, aux manuels en tout genre, aux livres de cuisine. On peut parler de lecture utilitaire. Ce sont précisément ces ouvrages qui se prêtent le mieux à une transposition sur iPad. J’ai justement acheté un livre de recettes culinaires. Je peux chercher des recettes par mots clés (que faire avec des pommes ?), par thème (Noël). Je peux établir une liste d’achats pour un menu. Une partie des recettes et certaines actions (découper une langoustine) sont présentées sous forme de vidéos. Les recettes sont prévues pour 4 personnes. Je peux ajouter ou enlever des convives et l’application recalcule les quantités dont j’ai besoin. Seul inconvénient: il faut faire attention à son iPad sur la surface de travail …
Les readers sont conçus pour un autre type de lecture que celle d’un roman. Une lecture qu’on pourrait qualifier de discursive. Ils permettent d’annoter, de rechercher. Ils donnent de nouveaux accès à l’information, comme la géolocalisation pour les guides de voyage. On ne le dira jamais assez, les livres de papier ne disparaîtront pas. Les readers s’ajoutent à de nombreux dispositifs permettant de lire et d’accéder à la connaissance. J’ai un laptop, un iPhone, un iPad et je croule sous les livres de papier …
Catégorie : Livre
La femme digitale
Isabelle Juppé (l’épouse d’Alain, politicien français qui a ouvert un blog depuis longtemps) vient de sortir un ouvrage intitulé « La femme digitale ». Elle essaie d’y montrer comment se développe le Web au féminin.
Son livre rassemble des témoignages de femmes qui ont su utiliser le Web pour faciliter leur vie, professionnelle, familiale, sociale ou même amoureuse. Certaines ont trouvé un nouveau souffle professionnel, d’autres ont pu concilier l’éducation de leurs enfants et un travail. On y voit des femmes lancer une entreprise, partager des recettes de cuisine, bloguer, … Mais l’ouvrage ne nous livre pas vraiment une analyse approfondie sur la place de la femme dans le Web, et reste cantonné dans l’anecdotique. C’est dommage d’ailleurs, car la problématique est intéressante.
Mais qu’est-ce que le Web a de vraiment féminin. Au départ, sûrement rien. Il est né dans des milieux masculins où l’on élaborait de nouvelles technologies. Mais aujourd’hui, le Web n’est plus dans les mains des seuls techniciens. Il s’immisce de plus en plus dans notre vie quotidienne. Il touche des domaines aussi variés que la musique, la lecture, le travail, les loisirs, etc… Dès lors comment ne toucheraient-ils pas le monde des femmes. On aurait pu écrire un livre semblable sur les enfants ou les personnes âgées qui, de plus en plus, se connectent, ne serait-ce que pour rester en contact avec leurs petits-enfants.
Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’Internet tel qu’il se présente aujourd’hui, le Web 2.0., développe des valeurs qui sont habituellement considérées comme féminines, comme le partage, le multi-tâche, le réseau. De plus, il permet d’envisager de nouvelles manières de travailler (comme travailler à la maison, choisir son horaire comme on veut), qui sont particulièrement appréciées des femmes (mais pas exclusivement).
On peut ramener le Web à toutes sortes de catégories socio-démographiques, la vérité est qu’il s’immisce dans toutes les parties de la sociétés, qu’il s’agisse de classe d’âge, de genre ou de catégories socio-professionnelles. Le livre d’Isabelle Juppé en est, en quelque sorte l’illustration: les exemples qu’elle réunit montrent bien la variété des domaines dans lesquels Internet joue un rôle important.
J’ai personnellement eu une petite irritation en lisant ce livre: l’auteur donne une vision de la femme bien traditionnelle. On y parle de cuisine, d’amour, on indique souvent le nombre d’enfants de ces femmes qui ont su se frayer un chemin sur Internet.
Isabelle Juppé veut – et c’est bien logique – continuer ses réflexions sur le Web. Elle a donc ouvert un blog où les femmes sont invitées à témoigner de leurs expériences.
Lors de sa campagne militaire en Egypte, Bonaparte avait emmené avec lui des savants. Le résultat de leurs observation a été réuni dans un ouvrage intitulé « La Description de l’Egypte » qui a fait date et qui reste aujourd’hui encore une source d’information importante pour la connaissance de l’Egypte ancienne. Les planches notamment constituent un témoignage important sur les monuments égyptiens antiques.
Cet ouvrage, qui comporte 20 volumes, est désormais disponible sous une forme numérique sur Internet. Le site Web a été créé, sous l’égide de la Bibliotheca Alexandrina (BA) et de l’International School of Information Science (ISIS), qui est l’institut de recherche de la nouvelle Bibliothèque d’Alexandrie.
L’interface Flash conçue pour la lecture de l’ouvrage est très simple à utiliser. Elle offre la possibilité de parcourir les différentes pages de texte ou de planches ou d’effectuer des recherches dans l’ensemble, grâce à un index de mots-clés ou à un outil de recherche libre. Une fois la page trouvée, il est possible de l’agrandir, de la tourner de 90 degrés, de la sauver sur son ordinateur (eh oui ), d’en garder le lien dans le navigateur ou de l’envoyer à un ami.
Voilà désormais un ouvrage fondamental du patrimoine disponible facilement sous une forme attractive. Et pour ceux qui n’auraient pas une liaison à large bande, un DVD est disponible.
Bricks est un projet financé par la Communauté européenne, dont le but est l’encouragement à la digitalisation. Parmi les réalisations de ce projet, on trouve une bibliothèque digitale permettant de retrouver des documents provenant d’anciennes publications sur Pompéi: « The Fortuna Visiva of Pompeii ». Pour accéder aux documents, il faut cliquer sur un plan de Pompéi. Il s’agit le plus souvent de dessins faits par des archéologues au 19ème siècle, reproduits dans leurs publications. Ces ouvrages sont très difficilement accessibles aujourd’hui et ils sont pourtant encore utiles, ne serait-ce que parce qu’ils témoignent du site dans un état de conservation différent d’aujourd’hui. En outre, ces dessins anciens représentant des monuments, des peintures, des mosaïques, sont remarquables.
http://pompeii.brickscommunity.org:8080/BricksPompei/
Tout louable que soit ce site, il n’en présente pas moins quelques faiblesses. Son ergonomie n’est pas aisée. La carte est muette: elle ne donne aucun nom de maison ou de monument. Il faut donc soit connaître Pompéi comme sa poche, soit y aller au hasard, soit encore disposer d’un autre plan, parlant celui-là. Il est possible de rechercher les documents grâce à un formulaire, mais ce dernier ne dispose d’aucune aide. En principe, il devrait offrir des menus déroulants ou des listes de mots-clés. Enfin, vu la beauté des dessins et le fait qu’ils sont clairement dans le domaine public, on peut regretter que la version agrandie soit affublée d’un grand P renversé, pour éviter que les images soient réutilisées dans d’autres contextes.
Le plus cocasse, dans cette affaire, c’est qu’un des ouvrages qui est le plus souvent référencé dans le site « The Fortuna Visiva of Pompeii », « Les ruines de Pompéi » par F. Mazois, est disponible dans la nouvelle bibliothèque numérique européenne Europeana:
http://www.europeana.eu/Search?q=Mazois … 10&p=1
On peut consulter aussi bien les pages scannées que le texte numérisé. Mais le lien avec le plan de Pompéi n’existe pas. Rien n’est parfait, même dans le monde virtuel.
Le plus difficile, dans le domaine des projets de digitalisation, c’est de donner un accès aux documents en grande masse. La carte est un excellent moyen, mais dans le cas qui nous occupe , cette carte n’a pas les fonctionnalités requises: légende, passage vers une image satellite, etc.. En outre, il faut créer des outils capables d’intégrer constamment de nouvelles couches d’informations. Un des excellents exemples est celui des applications géographiques de Google. Elles sont prévues pour permettre la connection avec d’autres sources de données. Nous avions déjà mentionné ce développement d’un ingénieur de Google, assurant le lien entre des lieux mentionnés dans un livre et la carte. Si on me demandait mon avis, je dirais que dans le cas d’un site comme Pompéi, il faudrait tout d’abord créer un plan de référence, accessible à tous et sur lequel différentes équipes de chercheurs pourraient greffer leurs propres informations.
Bricks Project: http://www.brickscommunity.org/
Hypercésar
En écrivant son ouvrage sur la guerre des Gaules, César ne voulait pas seulement laisser une trace dans l’histoire. Il avait des vues sur le pouvoir à Rome et, à travers ce livre, il édifie sa propagande personnelle. Loin d’en faire un récit autobiographique, il parle de lui à la 3ème personne. Cela ne trahit pourtant pas une fausse modestie. César est bien le héros principal de son livre. Si la lecture de l’ouvrage ne laisse guère de doute sur ce point, l’analyse statistique de son vocabulaire vient le confirmer. En effet, après ce qu’on appelle les mots outils (conjonctions, pronoms, etc.), le terme caesar est le plus souvent cité dans le texte de la guerre des Gaules.
Depuis longtemps, les philologues ont effectué de tels comptages. L’informatique les a soulagés de travaux fastidieux, en mettant à disposition des logiciels d’analyse lexicale. Mais maintenant, cette information se trouve au bout de votre souris. La bibliothèque virtuelle Intratext met en effet à disposition du public plus de 6800 textes digitalisés. Sa particularité, par rapport à d’autres bibliothèques numériques, est d’offrir en plus des outils d’analyse lexicale. On peut en effet avoir la fréquence de chaque mot (donc le lexique complet de l’oeuvre étudiée), la fréquence des termes, le lexique inversé, la longueur des mots et quelques indices comme le nombre d’occurence, le nombre de mots, la moyenne d’apparition des occurences, le nombre de lettres du mot le plus long, etc.
Cette remarquable bibliothèque virtuelle, basée sur des principes technologiques adéquats (XML), est due à un réseau d’institutions dont certaines sont religieuses. Elle offre des textes religieux, philosophiques, littéraires et scientifiques dans une trentaine de langues. Fait remarquable, elle est totalement accessible aux personnes atteintes d’un handicap visuel.
A noter que la société Eulogos, qui assure la partie technologique, a aussi digitalisé des textes munis des mêmes fonctionnalités sur le site du Vatican, dont le fameux Catéchisme de l’Eglise catholique.
Eparpillement
Je lisais un essai intitulé Une presse sans Gutenberg écrit par Jean-François Fogel et Bruno Patino. Ces deux auteurs montrent comment la presse sur Internet évolue vers un éparpillement, un émiettement des nouvelles qui sont alors réunies au gré des algorithmes intégrés dans les sites les plus divers: moteurs de recherche ou flux d’actualités qu’on retrouve dans de nombreuses applications. Bien des informations que je trouve me tombent sous les yeux un peu par hasard, par exemple dans le flux qui défile au-dessus de ma boîte à mails Gmail. Je ne dois qu’au fait que je suis à la recherche d’informations sur certains sujets d’être capable de leur donner un cadre. Mais pour beaucoup d’internautes, il s’agit d’une avalanche d’informations, sans tri et surtout sans priorité. Et c’est vrai que la juxtaposition de certaines informations est parfois risible.
Je ne suis pas certaine de devoir regretter complètement cette situation. Les internautes que nous sommes devront apprendre à faire leur propre tri dans toute cette masse, avec leurs propres critères. On en revient à la théorie de la longue traîne. Pourquoi seul un choix serré d’informations serait-il diffusé massivement comme c’est le cas avec la presse traditionnelle? Finalement tout n’intéresse pas tout le monde. On peut aussi plus facilement échapper aux sujets massue comme les grands rendez-vous sportifs, quand on n’est pas passionné.
Mais quand on transpose cette idée à l’art ou à la culture, la perspective devient tout autre. Contrairement à l’information virtualisée, le musée virtuel a été pensé bien avant Internet. On connaît des tentatives anciennes déjà de dépasser le musée de brique et de ciment ou la collection finie.
Ces tentatives font en principe appel à des substituts de l’original. Le « museo cartaneo » (musée de papier) de Cassiano dal Pozzo en constitue un exemple intéressant . Ce dernier, aristocrate et intellectuel romain qui a vécu entre 1588 et 1657, a réuni et fait réalisé une collection d’environ 7000 aquarelles, dessins, imprimés. C’est probablement la plus importante tentative de réunir le savoir humain sous forme visuelle avant l’invention de la photographie : l’histoire de l’art, l’archéologie, la botanique, la géologie, l’ornithologie et la zoologie y sont documentées.
Les musées des moulages en sont un autre exemple. Ils réunissent des substituts sous forme de copies de plâtre. Prenons un cas concret pour comprendre le but et l’utilité de ces musées. Le décor du Parthénon est dispersé dans plusieurs musées dont le Louvre à Paris, le British Museum à Londres, le Musée d’archéologie de Palerme et, bien entendu, le musée de l’Acropole à Athènes. Ce dernier contient des copies de la plupart des métopes et des frontons. Mais l’ensemble du décor sculpté a été réuni, sous forme de copies en plâtre, à la Skulpturhalle de Bâle.
Mais c’est Malraux qui a vraiment pensé le concept de musée virtuel en le situant dans notre imaginaire. Au cours de notre existence et de nos expériences (voyages, lectures), nous accueillons dans notre mémoire (avec l’aide de support comme les photos parfois) un musée immense, mais virtuel. Ce musée, nous pouvons l’appeler à chaque instant, l’actualiser, l’augmenter, nous y promener, le faire partager à d’autres ou s’organiser de petite expositions temporaires personnelles.
Mais Internet nous livre des outils permettant de faire la même chose: il contient une immense collection d’oeuvre et d’objets. Il offre des possibilités de réunir des petites collections issues de la grande collection, grâce aux moteurs de recherche (généralistes ou spécialisés). Il autorise la réunion d’ensemble dispersés, comme toutes les oeuvres d’un peintre (nous avons donné l’exemple de la réunion de l’oeuvre de Picasso), d’une école, d’une période. Les sources les plus diverses nourrrissent ce musée virtuel: les musées eux-mêmes bien entendu, les universitaires, les passionnés, sans oublier les nombreux visiteurs de musées qui, après avoir visité le Louvre ou le Prado, téléchargent leurs images sur Flickr.com. Le musée virtuel est là, sous nos yeux. Il permet de dépasser ces cloisons artificielles que sont les collections muséales, issues de divers hasards. Il autorise chacun à créer son propre musée, à être son propre curateur. Dans l’art ou la culture, plus qu’ailleurs, les goûts sont divers. Chacun trouvera dans ce musée sans conservateur officiel ce qui satisfait son goût, sans devoir subir le jugement ou le choix d’institution. Cela permettra de confronter les oeuvres et les styles les plus divers, ouvrant peut-être la voie à une nouvelle compréhension de l’art ou de la culture. Gaudeamus igitur!
La longue traîne est en passe de devenir le cauchemar de certaines branches commerciales. Elle évoquera sans doute, aux yeux de beaucoup, l’appendice caudale du démon plus que la traîne d’une robe de mariée*.
Qu’est-ce que la longue queue? Il s’agit d’un paradigme développé par Chris Anderson qui s’est penché sur un phénomène intéressant dans le domaine du e-commerce. Des sites comme Amazon développent toutes sortes de fonctionnalités visant à améliorer les ventes de leurs produits. Les possesseurs de compte chez Amazon reçoivent régulièrement des recommandations d’achat. Amazon a aussi donné la possibilité aux internautes d’écrire des critiques des ouvrages directement sur le site (ce qui était auparavant le privilège d’un petit nombre d’individus). Dans ces recommandations, les lecteurs parlent parfois d’autres ouvrages qu’ils ont lu sur le même thème. Ces ouvrages sont presque épuisés ou totalement. Mais grâce à ce système, ils retrouvent un deuxième souffle. Ce phénomène est amplifié grâce à la blogosphère, à tout le buzz qui se fait sur le Net. Les résultats des ventes prennent alors une allure nouvelle: les bestsellers se vendent moins alors que de très nombreux produits. La répartition des ventes prend la forme de la traîne d’une robe de mariée.
La robe de mariée de la princesse Diana mesurait environ 12 m
Cette répartition a des conséquences sur les gains réalisés par les vendeurs (et indirectement par les créateurs): les grandes ventes rapportent moins et de très nombreux produits amènent des revenus faibles. De là à penser que bientôt commerçants et auteurs tireront le diable par la queue, il n’y a qu’un pas…
Ce modèle, issue de l’observation de la vente de livres, semble se répandre dans les domaines les plus divers, ainsi qu’on a pu le constater lors de la dernière journée de Lift07. La musique avait été évoquée le matin. Lors de la discussion finale, Thierry Crouzet a montré comment ce même phénomène se retrouve dans les élections présidentielles françaises: il y a plus de candidats, donc plus de choix. Chaque candidat accumule un nombre plus faible de voix, si l’on compare avec des élections plus anciennes. Mais cette répartition n’est pas égale: elle prend la forme d’une traîne.
Thierry Crouzet montrant la longue traîne des élections de 2002
(Voir la note consacrée au Cinquième pouvoir)
Mais on trouverait certainement ce même modèle dans le domaine de la photographie. En effet, grâce à la technologie du numérique, le nombre de photographes qui publient des photos sur Internet a considérablement, répartissant autrement les revenus tirés de cet art. A titre d’exemple, on peut mentionner le site JPG. Il est possible d’y déposer des photos numériques. Les internautes votent pour les images qui leur plaisent le plus. Les 100 photos qui récoltent le plus de suffrage ont le droit d’être imprimé dans le magazine sur papier qui sort régulièrement. Le phénomène de la photo numérique est si massif que le musée de l’Elysée, à Lausanne, a décidé d’y consacrer une exposition: « Tous photographes ».
De nouveaux modèles économiques doivent être trouvés. Deux sociétés, l’une dans la vidéo (http://portal.vpod.tv/), l’autre dans la musique (http://www.magnatune.com/) ont présenté le leur: les gains sont partagés 50%/5’% avec les auteurs. A voir si suffisamment de gens pourront en vivre. Dans ce domaine, l’heure est à l’exploration.
La longue traîne dans le domaine culturel?
Dans le domaine de la culture, notamment celle qui est déjà dans le domaine publique, le bénéfice serait énorme. Non pas en espèces sonnantes et trébuchantes, mais en reconnaissance. En effet, si les contenus culturels (littérature, poésie, peinture, objets archéologiques,etc…) étaient massivement mis en ligne, de nombreuses oeuvres tombées dans l’oubli trouveraient elles aussi une seconde existence. Mais cela suppose deux conditions:
– l’augmentation de l’offre par des encouragements à la numérisation
– des outils de valorisation permettant à des internautes de mettre en valeur ce patrimoine numérisé: systèmes d’édition de galeries virtuelles, blogs commentant les oeuvres, etc…
Les commentateurs ou les commissaires d’expositions virtuelles feraient remonter des oeuvres moins connues du grand publie, voire carrément méconnues. Les internautes qui auraient envie de les découvrir pourraient y accéder facilement puisqu’elles sont disponibles sur le Net. Et cela amènerait à la découvrte d’autres oeuvres. Ainsi beaucoup d’internautes consulteraient beaucoup d’oeuvres, même si chaque oeuvre n’arrive qu’à un score modeste. J’ai personnellement fait une expérience similaire en cherchant chez des bouquinistes des anthologies de poésie de la fin du 19ème siècle. Une bonne partie des poètes mentionnés sont oubliés, mais la lecture de leurs textes donnent envie de mieux les découvrir. Le fait qu’ils n’aient pas survécu à un moment donné au filtre des éditeurs ne signifie qu’ils ne méritent pas d’être lus aujourd’hui: les critères changent d’une époque à l’autre.
Ainsi créer les conditions de la longue traîne favoriserait la promotion de la culture (qui est dans le domaine public).
* en français, il y a hésitation entre les deux traductions:
S’il fallait résumer en une expression ce qu’on a entendu aujourd’hui, lors de la conférence Lift07, on pourrait parler d’écologie de l’information. En effet, l’information est tellement riche, abondante, interconnectée (un peu grâce aux terminaux que nous sommes, aux machines que nous utilisons et au réseau que nous avons mis en place), qu’on commence à percevoir le fonctionnement d’un éco-système Internet.
Plusieurs orateurs ont évoqué le « Social Web », c’est-à-dire la possibilité que nous avons, en tant qu’utilisateurs du système, de tisser des relations. Nous pouvons rencontrer d’autres êtres, partager avec eux nos goûts, nos idées, collaborer à des projets à la manière des bâtisseurs de cathédrales.
Non seulement, des orateurs nous présentaient leurs idées théoriques sur le réseau social d’Internet, mais en même temps on le voyait à l’oeuvre. Environ deux tiers des personnes avaient leur lap top allumé et grâce au wifi, elles ont pu communiquer avec d’autres personnes qui se trouvaient ailleurs, par mail ou messages instantanés. Cependant lors de deux exposés, on a clairement vu les nez se montrer au-dessus des écrans. Tout le monde s’est intéressé à l’exposé de Soeur Judith qui n’est autre que la responsable du site Internet du Vatican. Elle a expliqué l’importance que l’église accordait au potentiel social d’Internet et elle a présenté un site d’apprentissage à distance destiné aux jeunes.
Quant à Sugata Mitra, il a réellement impressionné l’auditoire en montrant comment des enfants, en Inde, pouvaient apprendre de manière autonome (grâce à l’auto-organisation) l’utilisation d’un ordinateur, d’Internet ou même l’acquisition de rudiments d’anglais.
Il a en effet mené des expériences en installant dans des villages éloignés dépourvus d’écoles ou avec des enseignants non formés à l’informatique, des bornes avec un ordinateur. Au bout de quelques heures, des enfants avaient appris à utiliser l’ordinateur et montraient aux autres comment faire. Il a même mentionné un exemple intéressant: ayant installé un ordinateur avec des CD-ROM dans un village, il y est retourné après plusieurs mois. Il a posé des questions aux enfants qui lui ont répondu qu’il leur faudrait une machine avec un processeur plus puissant. Il leur a alors demandé comment ils savaient cela. Les enfants ont expliqué que, comme le matériel était en anglais, ils avaient un peu appris cette langue et, munis de ces connaissances, ils ont trouvé d’autres informations sur Internet concernant les ordinateurs. Voilà qui démontre en tout cas que le cerveau humain reste le meilleur processeur, surtout en groupe.
Si on parle d’écologie de l’information, c’est aussi parce que cette information commence à se répandre non seulement dans le réseau d’ordinateurs qu’est Internet, mais aussi dans le reste du monde. En effet, de plus en plus d’objets sont connectés avec le Net. On appelle cela l’Internet des objets. Il y a de nombreuses applications pratiques à l’installation de puces connectées au réseau. Actuellement, l’ordinateur est la meilleure manière de s’y connecter, mais ce ne sera pas toujours le cas. Adam Greensfield a créé pour en parler le terme d’everyware (comme hardware, software). Cet Internet des objets a de lourdes conséquences pour l’humanité. En effet, si dans beaucoup de cas l’utilisateur sera conscient qu’il effectue une transaction via Internet grâce à un objet plutôt qu’un ordinateur (pour payer un voyage en train par exemple), il arrivera aussi que cette liaison se fasse à son insu. Selon Adam Greensfield, il est grand temps de se pencher sur cette problématique. Bonne nouvelle, il a annoncé que son livre (portant le titre « Everyware » en anglais) sortira en traduction française en avril.
Et puisqu’on parle d’écologie, Julian Bleecker a évoqué la dépense en énergie que supposait le maintien d’un Internet ubiquiste, disponible en tout temps et en tout lieu. Le coût en énergie d’un avatar dans Second Life est de 1752 KW par an, alors qu’une personne de chair et d’os en dépense 2436. La différence n’est pas si grande et on comprend, par cet exemple éloquent, ce que coûte le maintien d’un réseau informatique disponible en tout lieu et en tout temps.
On discute depuis un moment déjà de l’influence des ordinateurs et d’Internet sur les livres:
– le traitement de texte avec sa technique « couper-coller » succède à la machine à écrire ou au manuscrit. Il devient plus simple de retravailler ses textes, de déplacer des paragraphes.
– les versions numérisées entrent en concurrence avec les versions papiers. Elles ne sont pas plus pratiques à lire, mais elles offrent d’autres possibilités comme la recherche dans le document. Le livre papier n’est cependant toujours par mort et, depuis la naissance de l’informatique et d’Internet, on n’a jamais autant imprimé. Le e-book, lisible sur divers supports (organiseurs, téléphones portables, iPod), se développe sans mettre trop en danger le livre papier.
La prochaine révolution concernant le livre est en marche et c’est la notion même d’auteur qu’elle remet en question. L’écriture collective existe depuis longtemps, mais Internet lui offre des outils qui pourront peut-être lui conférer un véritable statut.
Le premier exemple d’écriture collective est Wikipédia. Contrairement à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, il n’a ni auteur, ni éditeur et c’est une communauté virtuelle qui veille sur son développement.
Autre exemple intéressant: une encyclopédie datant de l’époque byzantine et rédigée en grecque, la Souda, est en cours de traduction sur Internet depuis dix ans. Elle compte environ 30’000 entrées et n’a jamais été traduite dans une langue moderne. L’entreprise n’est possible qu’avec la collaboration de milliers de personnes. Une équipe a donc décidé de mettre en place un système sur Internet, permettant de gérer la traduction et d’offrir le résultat en consultation. Chaque personne possédant les compétences requises (connaissance du grec ancien et rédaction en anglais) peut s’inscrire. Certains professeurs de grecs assignent même des articles à traduire à leurs étudiants, ce qui peut constituer un excellent travail de séminaire. Il y aussi dans ce projet un contrôle de qualité, le but étant que chaque article soit revu. Actuellement plus de 20’000 contributions sont en ligne. D’un point de vue technique, les contenus sont en XML. Il est possible de faire des recherches dans le corpus et le tout est accessible gratuitement.
Il est possible de tirer parti encore autrement d’Internet dans l’écriture d’un ouvrage: c’est l’écriture en ligne autorisant les lecteurs à faire des commentaires directement sur les paragraphes de l’ouvrage. Un professeur de journalisme de l’Université de New York est en train d’écrire un papier intitulé: « The Holy of Holies ». Son texte est disponible sur le Net et chacun peut poster des commentaires. C’est l' »Institute for the Book of future » qui lui a mis en place un prototype permettant d’engager un dialogue avec ses lecteurs déjà au cours de l’écriture.
http://www.futureofthebook.org/mitchell … yofholies/
http://www.futureofthebook.org/
Comme on le voit, Internet ne bouleverse pas seulement l’accès aux livres, les formats, les recherches documentaires, mais également l’écriture qui, auparavant, était le seul fait d’un personnage hautement sacralisé, l’auteur.
Tout Balzac
Tout Balzac, ça prend un long rayon de la bibliothèque. Qui aurait l’idée de les aligner chez lui, de les voir prendre la poussière et n’être sortis que de temps en temps? Maintenant, pour peu que vous ayez un ordinateur connecté sur le Net (et si vous me lisez, c’est certainement le cas!), tout Balzac est là, dans la bibliothèque virtuelle. Il est là, mais il est aussi présenté de manière intelligente, ergonomique et pourvu d’un outil de recherche permettant de le « feuilleter électroniquement ». Vous ne voulez pas lire un roman complet, mais juste savoir ce que Balzac dit de Noël? En une seconde, vous découvrez les 15 occurences de ce mot.
Banc où Balzac est supposé avoir parlé pour la première fois avec Evelyne Hanska, à Neuchâtel (Suisse)
Photo: collection des Travaux publics de Neuchâtel
Bien entendu, pour lire un roman de Balzac, rien ne vaut un volume acheté dans une librairie ou emprunté dans une bibliothèque. Mais pour le feuilleter, pour l’étudier, cet outil est très précieux. Et peut-être encouragera-t-il certains à lire l’ensemble ou une partie de la Comédie humaine.
http://www.v1.paris.fr/musees/balzac/fu … tation.htm
Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas d’un exemple unique. Nous avions déjà évoqué la publication électronique du roman baroque Artamène. Le support numérique convient particulièrement bien à des corpus étendus. On trouve des exemples cette littérature sur support numérique sur une page de la bibliothèque de l’Université de Chicago:
http://www.lib.uchicago.edu/e/ets/efts/French.html
De telles réalisations vont-elles changer notre façon de lire? Plutôt que de lire un texte du début à la fin, pratiquerons-nous une lecture discursive, allant d’un passage à l’autre, un peu comme quand on prend connaissance de la littérature à travers des recueils, des anthologies et autres chrestomaties? Il s’agira un jour d’étudier les nouvelles habitudes de lecture.
Un petit regret. L’accès à plusieurs de ces oeuvres est restreint aux membres des Universités.