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Ubiquité

Le terme ubiquité définit la capacité d’être à plusieurs endroits en même temps. Cette capacité est essentiellement attribuée à des divinités dans diverses religions et mythologies. Mais qu’en est-il des humains? On considère en général qu’ils ne peuvent être simultanément à deux places, car ils sont soumis aux contraintes du monde physique. C’est sans compter sur la virtualisation. Les technologies de l’information en réseau permettent en effet une certaine ubiquité. Il serait cependant faux de croire que l’ubiquité n’est possible, pour les hommes, que grâce à la technologie moderne. L’esprit humain dispose lui aussi de vertus virtualisantes. Celles-ci ont permis aux humains, à travers le temps, d’être ubiquistes, même s’il ne s’agit pas d’une ubiquité physique. C’est justement l’esprit humain qui est la composante virtualisante de l’homme. De tous temps, l’homme a su se projeter dans d’autres lieux. Parfois (souvent) nos rêves nous emmènent loin de notre chaise et nous donnons l’impression à ceux qui nous entourent d’être absents. Il existe dans l’histoire humaine des pratiques avérées de l’ubiquité. Peut-être que s’y intéresser permettra de mieux comprendre à l’ubiquité technologique.

Le monde du rêve

Le rêve et l’imagination ont certainement permis à l’humanité d’échapper à ses contraintes corporelles et cela probablement dès les premiers temps. Si aujourd’hui, dans la culture occidentale, le rêve fait partie de l’intime et est considéré comme le dépositaire de notre inconscient, il n’en n’a pas toujours été ainsi. Dans les sociétés traditionnelles, les rêves sont souvent partagés, commentés, interprétés. Ils sont souvent à la base de décisions concernant le monde réel. Dans la culture des Aborigènes d’Australie, le monde du rêve revêt une importance fondamentale et ce qu’on y voit devient opératoire dans la réalité.

L’imagination

L’imagination a permis aux hommes d’échapper à leur condition et cela même dans les circonstances les plus dramatiques. On connaît des récits de prisonniers ayant eu recours à des projections imaginaires dans un autre monde pour fuir une réalité trop dure à supporter. Lors d’une exposition sur la série Star Trek, à New York, on pouvait voir une vidéo où l’acteur qui jouait le commandant Kirk racontait ce qu’un jour un chauffeur de limousine lui avait confié. L’homme avait été prisonnier au Vietnam et, avec ses camarades d’infortune, ils reproduisaient des épisodes de la série pour se soustraire à l’horreur de leur situation et rester humains.

La littérature romanesque en général crée un espace de projection qui permet au lecteur de s’évader temporairement de son quotidien. Déjà aux 18ème et 19ème siècle, on avait relevé les dangers de la lecture romanesque, comme en témoigne le roman de Flaubert, « Madame Bovary ».

L’âme

De nombreuses cultures ont une conception dualiste de l’humain, formé d’une enveloppe corporelle et d’une âme. Si dans la plupart des religions, l’âme ne quitte le corps qu’au moment de la mort, d’autres cultures considèrent que l’âme peut quitter provisoirement le corps et y revenir. C’est le cas du chamanisme de chasse. Le chamane en transe est censé faire un voyage dans le monde des esprits. Son corps reste au milieu de l’assemblée qui assiste au rituel, mais son âme se trouve auprès du Seigneur des animaux. Le chamane était même censé avoir une épouse dans le monde des esprits, la fille du Seigneur des animaux, avec qui il avait même des enfants.

Cette distinction entre âme et corps permet aussi de penser des âmes sans corps (les fantômes) ou des corps sans âme (les zombies).

L’ubiquité technologique

Les technologies de l’information en réseau donnent à l’homme la possibilité d’être en plusieurs endroits au même moment. Il peut par exemple rester chez lui et participer à une réunion grâce à un système de visioconférence ou en utilisant un univers persistant comme Second Life. Il peut voyager dans un train tout en restant en contact avec ses amis grâce à son téléphone ou bien une messagerie instantanée sur son ordinateur.

Tant que cela restait des démarches individuelles ou limitées à un cercle de personnes hyperconnectées, cela ne posait guère de problème. Il en va tout autrement aujourd’hui avec le développement fulgurant des réseaux sociaux en ligne. Alors qu’auparavant on construisait son réseau social dans l’espace physique auquel la corporalité limitait l’homme, on peut désormais se choisir un réseau idéal en recherchant des personnes qui correspondent le mieux à nos goûts, avec le risque que ces personnes soient géographiquement éloignées. Mais Internet nous permet d’interagir à tout moment avec eux, comme il nous permet de rester en contact avec notre entourage lors de tout déplacement. La conséquence de cette situation est une déconnection entre la géographie réelle et la géographie relationnelle. Elle accroît un phénomène qui était par ailleurs déjà en émergence: la disparition des lieux de socialisation. Les lieux de sortie où l’on peut rencontrer des gens ne s’adressent guère plus qu’à certaines classes d’âge (plutôt jeunes). Alors qu’autrefois les marchés et les petites épiceries constituaient des lieux de convivialité, on fait ses courses rapidement dans les supermarchés. On se parle moins qu’autrefois dans les trains, dans les cafés. Les banlieues ne sont faites que pour l’habitat et disposent de peu de lieux communautaires. Il ne reste guère plus qu’Internet qui s’improvise de plus en plus en lieu de sociabilité et de loisir. Il y a une profusion extraordinaire de soirées dansantes sur Second Life. On peut facilement y passer une soirée agréable où l’on peut rencontrer des gens intéressants.

Faut-il s’en inquiéter? Il est évident que la socialisation virtuelle a des vertus intéressantes. Elle permet de mettre en contact ceux qui partage les intérêts, indépendamment de leur lieu d’habitation. Elle permet de rester en contact plus facilement qu’avec la correspondance postale. Elle crée des espaces de partage sur les réseaux sociaux ou dans les mondes virtuels. Mais en même temps, elle provoque une déconnection entre la géographie réelle et le réseau social. De fait, les individus ne sont pas forcément là où ils ont envie d’être, en compagnie de gens avec qui ils ont envie d’être, tout en ignorant ceux qui sont là. C’est un rapport complètement différent à la géographie et même à la corporalité qui est en train d’émerger. Nous habitons moins notre corps, alors que notre identité numérique rencontre et interagit avec d’autres identités numériques. Après la déterritorialisation induite par Internet, n’assistera-t-on pas à une certaine décorporalisation? En effet, les interfaces permettant d’accéder à Internet permettront d’oublier la technique et deviendront toujours plus intuitives. Le côté pesant de l’ordinateur, ces relations en paraîtront d’autant plus vraies.

Reste aussi à voir le statut de ces activités et relations ubiquistes. Dans les exemples de pratiques de l’ubiquité citées plus haut, il est évident qu’on a affaire à un rituel, à une croyance partagée ou à une situation extrême. Ces expériences ont un sens partagé dans la société qui les voit naître. L’épouse spirituelle du chamane a une existence pour les membres de la tribu, alors qu’un partenaire dans Second Life n’a pas (encore) n’a pas de valeur dans notre société. De même, les amis dans Facebook ont-ils le même statut que les amis de la vie réelle pour notre entourage? Bien entendu, les choses commencent à changer. On a vu des juges tenir compte du fait qu’un individu était marié dans Second Life dans un divorce. Lorsqu’un résident de Second Life décède, il arrive que ses amis virtuels organisent une cérémonie. Rencontrer l’homme ou la femme de sa vie grâce à Internet n’est plus tout à fait une honte. D’une manière où d’une autre, le réseau physique, géographique et le réseau social virtuel devront peu à peu se reconnecter. Ce serait la phase de l’actualisation du réseau, c’est-à-dire sa manifestation dans le monde réel. A l’heure actuelle, il est difficile de prédire comment se fera cette actualisation. Mais il est certain qu’elle se fera.

Pour terminer sur une note amusante, on peut relever une application qui essaye justement de faire coïncider réseau social virtuel et l’espace géographique: aki-aki. Elle fonctionne sur un téléphone doté d’un GPS et permet de repérer des personnes inscrites dans le système qui sont physiquement autour de soi, dans la même ville ou dans la même région, le but étant de faciliter leur rencontre.

http://www.aka-aki.com/

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3D Hypermonde Musée virtuel Second Life

Cocon virtuel

Imaginez un cocon géant noir dans lequel on peut entrer et s’immerger dans des mondes virtuels divers. Plus besoin d’écran, de clavier, de souris. Tout est intuitif. Une expérience holistique. C’est en tout cas ce que promet le projet Immersive Cocoon (ou i-Cocoon), encore au stade du prototype et directement inspiré du film Minority Report.

Immersive Cocoon

http://www.i-cocoon.com/

http://www.cnn.com/2008/TECH/09/11/immersive.cocoon/index.html

Différents usages sont envisagés: jeux, visites de musées, travail, sport, relaxation auxquels on pourrait ajouter l’enseignement, le shopping et les relations sociales.

Un autre projet propose un casque permettant de s’immerger dans un monde virtuel en ayant les cinq sens en éveil (et non pas seulement la vue et l’ouïe). Dans ce casque, on verra des images, on entendra du son en vidéo, on sentira des odeurs, des goûts et même des sensations comme la chaleur ou l’humidité.

http://digital.warwick.ac.uk/News/towards-real-virtuality.html

Avec un tel casque, il sera possible de visiter un lieu lointain ou une époque passée, en se sentant en parfaite immersion.

Passons sur les désillusions possibles: les odeurs d’une ville du Moyen-Âge ou des couloirs de Versailles ne constitueront certainement pas le meilleur de l’expérience. Ces projets montrent une évolution intéressante dans le domaine de l’interface: l’ordinateur avec le clavier, l’écran et la souris, n’est pas un moyen adéquat pour entrer dans un monde virtuel. D’autres systèmes doivent être développés. Alors qu’on se déplace toujours aussi péniblement dans Second Life avec des touches du clavier, la Playstation 3 permet déjà d’accéder dans un univers persistant appelé Home. L’idée d’un appareil dans lequel on peut entrer semble intéressante, même si on peut se demander une telle machine entrera facilement dans nos appartements exigus. Un casque paraît de ce point de vue plus intéressant, même si imaginer tous les membres d’un même ménage avec des casques sur la tête peut paraître un peu risible.

Si on peut se réjouir de l’évolution des interfaces, il faut peut-être s’interroger sur les contenus accessibles via ces interfaces. Les spectacles deviendront de plus en plus réalistes, mais cela ne signifie pourtant pas qu’ils seront vrais. Les mondes virtuels sont construits au moyen d’algorithmes et de diverses ressources numérisées comme des images, des sons, des vidéos. Cela ne semble pas poser trop de problème pour des jeux, du moment que l’utilisateur sait (ou reste conscient) qu’il joue. En revanche, quand il s’agit d’utiliser ces systèmes pour visiter des périodes du passé, cela pose plus de problèmes. Les images diffusées ne seront toujours que des reconstitutions qui peuvent en tout temps être remises en question par des découvertes ou de nouvelles méthodes. Mais l’impression que ces images font dans une situation d’immersion rend cette critique difficile.

Les futurs visiteurs des mondes virtuels seront peut-être comme les hommes attachés dans le fond de la caverne de Platon, qui contemplent les reflets de la réalité projetés sur le mur de la grotte. Plus ils passeront du temps dans ces mondes artificiels, plus ces derniers feront partie de leur réalité et finiront par se confondre avec elle.

Allégorie de la caverne

Platon nous dit bien que la difficulté surgit quand on détache l’un des ces hommes pour l’exposer à la lumière du jour: l’expérience est douloureuse et l’individu doit s’habituer à cette lumière aveuglante. Comment se fera le passage du monde virtuel vers le monde réel pour ceux qui y passeront beaucoup de temps, par exemple pour le travail, les relations sociales et les loisirs? Que sera leur rapport avec le monde réel, beaucoup plus contraignant?

Toutefois je ne pense pas qu’il faille renoncer à ces univers persistants en 3 dimensions. Ils ont beaucoup d’avantages. Néanmoins il est nécessaire d’apprendre à les utiliser et à s’en servir de manière cohérente. L’idée d’avoir chez soi (ou d’habiter) un cocon qui reconstruit autour de soi le monde et dispense de s’y aventurer réellement fait un peu peur. En revanche d’avoir de tels cocons dans des lieux publics, comme des musées ou des bibliothèques, me semble plus sain.