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Création littéraire dans le monde numérique

Bienvenu ce débat sur les conséquences d’Internet et des technologies numériques sur la création littéraire. Si la Société des Gens de Lettres de France (SGDL) l’organise, c’est peut-être à cause de l’action qu’elle intente à Google, pour s’opposer à son offre « Google Book » dont nous avons déjà parlé dans ce blog (note) et qui reste un moyen commode de parcourir le contenu de grandes bibliothèques du monde anglo-saxon essentiellement. Son argumentation, essentiellement basée sur le fait que la législation américaine est plus souple que la législation française en matière de droit d’auteur, comporte les points suivants:

– La notion de « fair use » est invoquée par Google pour légitimer ce programme. Il s’agit d’une exception au droit d’auteur qui entend permettre la reproduction d’œuvres de manière limitée, sans autorisation requise, et suivant le respect d’un équilibre entre l’intérêt des titulaires de droits et celui du public. Cette notion n’existe pas en droit français ou européen.

– La notion d’ «opt out» est également avancée par Google. C’est le principe selon lequel « qui ne dit mot consent ». Google suppose donc un accord implicite de l’auteur à voir son oeuvre dans le programme « Google Book ». Cette nition d' »opt out » n’est pas reconnue par le droit français.

Rappelons que le droit d’auteur (voir note) ne se borne pas à récolter des royalties générées par une oeuvre. Il garantit à l’auteur un droit de regard sur l’utilisation de son oeuvre. Ses ayant-droit conservent ce droit durant les 70 ans qui suivent son décès. Les nombreuses histoires de veuves d’écrivains qui exercent leur droit de regard sont là pour nous le rappeler. Il est donc bon de débattre de ce droit à l’heure d’Internet. Est-il encore compatible avec le monde des bibliothèques virtuelles et des moteurs de recherche? Il ne s’agit pas de la question des royalties, légitimes, mais de ce droit de regard absolu. Il faudrait admettre que certaines oeuvres accèdent à un statut de référence quasi universelle (c’est le cas de Tintin par exemple). Ce statut, qu’il conviendrait de définir, implique un droit à la citation assez large. De plus, Internet devient la porte d’entrée à l’information, au savoir. Des outils comme Google Book permettent de connaître le contenu des livres, avant de les acheter. De plus, Google Book n’est pas le seul outil permettant de fouiller les livres: Amazon offre une fonctionnalité similaire (Look inside), de même que l’éditeur Barnes and Noble. Même dans Google Book, le lien vers une librairie virtuelle n’est jamais très loin. Finalement, ces outils ne sont rien d’autre que la virtualisation d’une pratique que nous aimons tous bien: bouquiner. Pour en revenir à l’action de la SGDL, elle n’aura qu’un effet, au cas où elle obtient gain de cause: enlever l’offre en français de ces outils. C’est beau l’exception culturelle!

Pour en savoir plus sur l’action de la SGDL: http://www.sgdl.org/actualite_Actualite … tervention


La création littéraire à l’heure du numérique
Forum, mardi 5 décembre 2006
Société des Gens de Lettres – 38 rue du Faubourg Saint Jacques – 75014 Paris
Tél : 01 53 10 12 15 – Réservation : 01 53 10 12 07 – manifestations@sgdl.org
Entrée libre

10h00 Introduction par François Taillandier, président de la SGDL

10h30 – 12h30 La toile, nouveau lieu de médiation du livre
Animé par Valérie Marin La Meslée, journaliste
Un nouvel espace d’écho pour la littérature est en train de surgir, des relais médiatiques indépendants et actifs qui mettent en œuvre la vie littéraire en jouant le rôle de prescripteurs, de conseillers. Avec :
Brigitte Aubonnet (http://www.encres-vagabondes.com) ;
Karine Henry (http://www.comme-un-roman.com) ;
Isabelle Roche (http://www.lelitteraire.com) ;
David Ruffel (http://www.chaoid.com).

14h30 – 16h15 La création en ligne
Animé par Paul Fournel, écrivain, administrateur de la SGDL
Le net change la structure de la création littéraire et propose de nouvelles passerelles, témoignages d’auteurs avec :
Jean-Pierre Balpe (http://fiction.maisonpop.com) ;
Xavier Malbreil (http://www.0m1.com) ;
Patrick Morelli (http://www.lunetoil.net) ;
Romain Protat (http://www.antidata.org).

16h30 – 18h00
Quels droits d’auteur pour ces nouveaux types de création ?
Animé par Alain Absire, écrivain, administrateur de la SGDL
Cette conquête d’un nouvel espace de création implique de nouvelles
pratiques du droit d’auteur. Licence libre, tatouage de l’œuvre, DRM, etc.
quelles hypothèses et quelles perspectives ? Avec :
François Gèze (directeur des éditions La Découverte, membre du collège livre du CFC) ;
Jean-Philippe Hugot (avocat spécialiste de la propriété intellectuelle) ;
Florent Latrive (journaliste au service économique de Libération, auteur de Du bon usage de la piraterie, Exils) ;
Ludovic Pénet (ancien vice président de L’APRIL).

Pour en savoir plus sur le programme du débat:
http://www.sgdl.org/actualite_Manifestations.asp

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Livre Revue de presse Tendances

Le Web a son histoire

L’histoire d’Internet est déjà en train de s’écrire. Manuel Castells, dans son ouvrage « La Galaxie Internet », en a déjà déterminé cinq phases. Un spécialiste canadien d’Internet considère qu’avec le Web 2.0, Internet entre dans une nouvelle période, bien que ses outils ne soient pas tous nés récemment et sans que les particularités des phases précédentes soient forcément effacées.

La première phase, celle des militaires, est bien connue et fait partie de la légende dorée du Net.
On doit à la période suivante, celle des techniciens et des scientifiques, les progrès grâce auxquels le Web est devenu utilisable pour des non-informaticiens: mentionnons Tim Berners-Lee, l’inventeur du WWW.
Sont venus ensuite des informaticiens qui érigeaient la liberté comme valeur fondamentale et qui ont bouleversé les règles du jeu. C’est la naissance de l’open source et du tout gratuit. Cette phase marque le Web de manière assez fondamentale.
Internet s’est alors transformé en une vaste communauté d’échanges, grâce à des outils comme les forums, les sites de tchatche.
Est venu le commerçant qui a pensé qu’Internet pouvait devenir un grand marché. Comme la grenouille de la fable, la bulle spéculative a enflé et a explosé. La Net-économie n’en est pas pour autant morte. Elle revient même en force, mais avec de nouveaux modèles. Témoin: la saga de Google et son concept de publicité en ligne.
Le Web 2.0 est peut-être une synthèse de toutes ces périodes et/ou l’aube de l’ère de l’intelligence collective que certains prédisent.

Pour en savoir plus:

Manuel Castells, La galaxie Internet, Fayard 2002
Article de Martin Lessard sur Agora Vox: http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=13730

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Le peuple des connecteurs

Internet change le monde. Il manquait un livre pour exprimer la radicalité des modifications induites par le Web et l’informatique, mais il est paru cette année. Intitulé « Le peuple des connecteurs », il est dû à la plume de Thierry Crouzet, auteur de nombreux ouvrages sur l’informatique et Internet.
Le livre se veut un peu l’évangile des connecteurs, c’est-à-dire des personnes qui forment un réseau (et qui en sont conscients en jouant le jeu de ce réseau), notamment au moyen d’Internet. Il se présente sous la forme d’un « décalogue ». Ses commandements, au nombre de 12, semblent exprimer le contraire du bon sens : le premier nie bien sûr tout statut de loi aux conseils que donne le livre (ne pas obéir). Les autres tentent de remettre en question les idées reçues de notre société : ne pas voter, ne pas légiférer (mais laisser l’auto-organisation se mettre en place), ne pas étudier (pour ne pas subir les cadres trop rigides du système académique), ne pas promettre (parce que c’est tout simplement illusoire), ne pas manifester (mais agir dans son coin en pensant à la globalité), ne pas compliquer, ne pas travailler (mais être un indépendant pour qui le travail est aussi un plaisir), ne pas rationaliser (et remettre Descartes en boîte), ne pas croire, ne pas mourir et enfin ne pas provoquer. Tout au long de ses développements, l’auteur fait découvrir à son lecteur les origines d’Internet, de l’informatique, les domaines de la science permettant de comprendre le développement fulgurant du Web : cybernétique, sciences des systèmes complexes, de l’auto-organisation, du chaos, des réseaux, etc… Il évoque des figures scientifiques de première importance comme Wiener, von Neumann, Turing et bien d’autres, sans oublier des auteurs de science-fiction dont la prescience ne cessera de nous étonner. Il nous emmène dans un voyage intellectuel fascinant. Il présente, par exemple, dans le chapitre 6, un courant de pensée qui, partant des automates cellulaires produisant des motifs extrêmement complexes à partir de règles très simples, essaie de montrer que le monde s’est peut-être développé de la même manière, à partir de règles de base simples. Ainsi, « quand la simplicité engendre la complexité – comme c’est sans doute le cas dans la nature-, la seule approche descriptive est la simulation. » (p. 189). L’ordinateur n’est plus seulement un outil de travail et de communication, il devient un laboratoire permettant de connaître le monde. Mais si un programme informatique peut simuler un monde aussi complexe que le nôtre, alors nous sommes peut-être nous-mêmes dans une simulation. Des philosophes s’interrogent très sérieusement et posent d’une manière très subtile la question un peu grossièrement traitée dans Matrix*. L’ouvrage se termine en montrant les prolongements que la technologie peut apporter à la vie humaine et ceux qui croient à cette idée. C’est peut-être le chapitre de trop, le transhumanisme (c’est ainsi qu’on appelle ce mouvement) ayant des relents un peu sulfureux (comme le reconnaît du reste l’auteur).
Comme les livres qui brossent des paysages intellectuels, ce livre a quelques défauts. Nous avions évoqué la question de la pomme empoisonnée de Turing qui pourrait être ou non celle du constructeur d’ordinateur Apple. Une petite erreur aisément vérifiable. Parfois l’auteur prend des raccourcis un peu vertigineux, en tout cas pour ceux qui ne sont pas habitués à la lecture d’ouvrages scientifiques. Cependant l’ouvrage a des mérites plus grands et nous fait prendre conscience de la profondeur des changements que connaît notre époque et de la place de plus en plus grande que l’informatique prendra, non seulement comme domaine technique, mais également comme paradigme. Si nous voulons prolonger ces questions, nous ne pouvons qu’en appeler au développement d’une philosophie de l’informatique. Ce n’est donc pas un hasard total si Thierry Crouzet est l’un des invités du 2ème festival de philosophie, le week-end**.

* http://www.nickbostrom.com/

** http://www.festivalphilosophie.info/

http://www.tcrouzet.com/