Aujourd’hui même Jean-Yves Empereur, archéologue français de réputation internationale grâce à ses fouilles à Alexandrie, reçoit un doctorat honoris causa octroyé par l’Université de Neuchâtel, en Suisse. Il a accepté cet honneur alors qu’il y a quelques années, il a refusé une forme de consécration qui lui aurait sans doute assuré une renommée plus grande et aurait peut-être mieux fait connaître le travail de l’archéologie en dehors des milieux académiques et culturels.
Tous les fans de Tomb Raider savent que l’héroîne du jeu, Lara Croft, est une archéologue. Issue d’une riche famille anglaise, elle possède un manoir et consacre son temps à l’exploration de ruines. Dans l’épisode IV du jeu, intitulé « La révélation finale », elle rencontre un archéologue français travaillant à Alexandrie, Jean-Yves DuCarmine. Ce dernier est égyptologue, mais il présente quelques similitudes physiques avec Jean-Yves Empereur, lui-même spécialiste d’archéologie grecque.
Copie d’écran du jeu. Pour comparer avec le vrai visage de Jean-Yves Empereur, on peut aller une page d’un journal égyptien ou un article lui est consacré: clic)
Considérant que ce personnage présentait trop de ressemblances avec sa propre personne, Jean-Yves Empereur a déposé plainte contre l’éditeur. Ce dernier s’est défendu de s’être directement inspiré de l’archéologue réel, mais a accepté de s’excuser publiquement pour la similitude et de ne plus faire apparaître ce personnage dans les versions ultérieures. De son côté, J.-Y. Empereur a renoncé à ce que cet épisode du jeu soit retiré de la vente.
Pour en savoir plus:
http://www.captain-alban.com/dossier_ne … 00108.html
http://www.gamekult.com/articles/A0000011191/
Ne s’agissait-il, dans cette affaire, que d’une question de droits d’utilisation d’un personnage public (en principe, chacun est propriétaire de sa propre image) ou bien l’archéologue français a-t-il refusé de paraître dans un monde, le monde virtuel des jeux vidéo, où l’archéologie est quasiment synonyme d’aventure? Seul l’intéressé pourrait répondre. Cependant si c’est la deuxième hypothèse qui est la bonne, ne vaudrait-il pas mieux jouer de cette image de l’archéologie aventureuse diffusée dans le grand public et notamment auprès des jeunes, afin de mieux faire connaître l’archéologie réelle et surtout de diffuser les connaissances qu’elle a établies et qui semblent se perdre peu à peu (voir notre note consacrée à la diffusion des connaissances scientifiques, prenant pour point de départ la question des origines de l’homme).
Bien entendu, les diplômes de Lara Croft valent ceux d’Indiana Jones ou de Daniel Jackson, l’archéologue de Stargate, spécialiste des civilisations extra-terrestres et champion du déchiffrement. Ils n’ont rien à voir avec ceux de Jean-Yves Empereur qui a passé par des écoles prestigieuses et qui connaît son métier. Mais il faut savoir que de nombreux enfants apprennent à connaître les civilisations du passé à travers des jeux vidéo, comme Rome Total War, Civilization ou bien Age of Mythology, ou même à travers des films et des séries TV. Il y a un profond fossé entre l’archéologie réelle, une science rigoureuse et minutieuse, et l’archéologie aventureuse bien ancrée dans l’imagination populaire. Les créateurs de Tomb Raider avaient en quelque sorte, maladroitement sans doute, tendu une perche aux archéologues réels. Le monde académique ne semble pas encore prêt à la saisir. Pourtant il faudra bien que ces deux mondes se retrouvent un jour! Quant au doctorat « virtualis mundi causa », il semble qu’il ne sera pas créé de si tôt.
Proposition d’exposition (temporaire ou virtuelle)
Il y a quelque temps, nous avons proposé à un musée d’archélogie un projet d’exposition temporaire visant à explorer le thème de l’archéologie fantasmée et de ses racines. Peut-être se fera-t-elle un jour.
Synopsis
L’archéologue est une figure qui s’est imposée dans la littérature (H.P. Lovecraft, Claude Delarue), le cinéma et la télévision (Indiana Jones, la série Stargate), l’univers du jeu (série Lego Adventures, jeu électronique Tomb Raider). Quand on les observe dans le contexte de la fiction, les principales caractéristiques de ces archéologues sont la découverte de civilisations disparues ou d’objets légendaires et, plus surprenante, la capacité à déchiffrer des textes anciens.
Quels sont les modèles réels qui ont donné naissance à ces personnages ? Les noms de Champollion, Schliemann, Carter sont encore très connus. Ils exploraient des terrains hors d’Europe continentale, ont mis au jour des sites exceptionnels ou bien ont donné accès à des civilisations fascinantes.
L’archéologie, au-delà de son apport scientifique à la connaissance du passé humain, véhicule des fantasmes qui tournent autour de l’aventure et des énigmes. Cela lui donne une image positive, mais cela ouvre également la voie à toutes sortes de dérives. Cette exposition se propose d’explorer le champ de ces fantasmes.
Note rédigée avec le concours de Robert Michel, archéologue et grand spécialiste des jeux vidéo (http://www.ceramostratigraphie.ch).