La jeune Maison d’analyse des processus sociaux de l’Université de Neuchâtel (MAPS) recevait mercredi Jacques Perriault, un chercheur français qui s’intéresse aux conséquences du développement des technologies de l’information dans le domaine du savoir. Ce spécialiste de l’enseignement à distance a écrit un livre important sur ce thème, intitulé « L’accès au savoir en ligne ».
Odile Jacob
Jacques Perriault a commencé par parler du contexte dans lequel se développent ces technologies de l’information et de la communication (TIC) et a relevé l’importance de la géopolitique. En effet, l’Occident n’est pas seul (ou plus seul) dans ce domaine et des pays émergents comme l’Inde ou la Chine y jouent un rôle de plus en plus important. De plus, le phénomène de la fracture numérique, s’il est réel, ne se traduit pas seulement en termes Nord-Sud. En effet, l’utilisation des TIC divise aussi l’humanité en deux par les compétences qu’elles requièrent et il est bon de les rappeler:
– traitement parallèle de l’information. Les utilisateurs de TIC que nous sommes doivent en effet gérer en même temps quatre couches: la machine (ordinateur, téléphone, …), le système d’exploitation, l’accès Internet et les logiciels.
– raisonnement inductif (ou abductif): à chaque moment, les utilisateurs de TIC peuvent être amenés à évaluer des situations et à formuler des hypothèses sur des bugs qui apparaissent. Le jeu vidéo constitue une excellente formation dans ce domaine.
– capacité à faire de la maintenance aussi bien dans le domaine du hardware que dans celui du software.
La lecture de ces compétences peut rappeller certainement à chacun de nous des situations vécues soit par nous-mêmes, soit par des proches. De nombreuses personnes se sentent lâchées par les TIC et pour beaucoup d’entre elles, c’est un aveu difficile à faire.
Jacques Perriault a aussi évoqué le savoir qui est disponible en ligne. Son terrain est celui du e-learning, qui a suscité de grands espoirs, mais n’a pas tenu ses promesses. Le chercheur constate en effet qu’aujourd’hui les organisations fabriquent en interne de la formation continue, ce qui peut se comprendre, du moment que de nombreux savoirs sont vus comme exclusifs. Ce qui se développe en revanche sur Internet (et souvent en open source), ce sont des plateformes e-learning qui permettent d’ouvrir des classes virtuelles.
Il semble que les usages qui se sont développés dans le domaine du e-learning ne soient pas ceux qui étaient attendus, comme l’apprentissage à l’écran. Jacques Perriault s’est occupé d’une institution nationale française d’enseignement à distance qui voyait ses utilisateurs disparaître sitôt inscrits. En effet, ce qui attirait les gens, ce n’était pas l’offre d’enseignement, mais la possibilité d’évaluation des compétences qui était offerte par ce système. Il semble aussi que pour les personnes inscrites dans des formations à distance, ce sont les possibilités de communication qui sont les plus importantes (classe virtuelle, chat, yahoo group, voire rencontres dans le monde réel).
De nombreux contenus ont été déjà produits, mais en l’absence de standards, ils sont difficiles à retrouver. La France a mis au point un programme destiné à retrouver ces offres dispersées un peu partout. L’important maintenant est d’indexer ces offres, c’est-à-dire d’appliquer à chacune les mêmes descriptifs (méta-données). Un standard est en discussion à l’ISO. En attendant, on peut utiliser le LOM (Learning Object Metadata). Si chaque objet d’enseignement est décrit de la même manière, cela donne de meilleures chances de les retrouver.
Jacques Perriault a aussi relevé l’aspect protéiforme de l’accès à ces connaissances. Hier, on parlait de portails d’accès. Aujourd’hui, ce sont les moteurs de recherche (Google en premier), les blogs, les RSS, les revues en ligne, qui constituent les portes d’entrée au savoir en ligne. Il faut aussi s’interroger sur la nature de ces savoirs: on trouve certes des cours sur des matières académiques, mais aussi toutes sortes de tutoriaux et de présentations sur des sujets douteux. Comment faire? L’exemple des sites sur la santé est très éclairant: en Suisse, il existe un label pour les sites dont le contenu est considéré comme fiable.
Pour terminer son exposé, Jacques Perriault a donné quelques pistes d’action pour oeuvrer à un développement des TIC. Selon lui, il faudrait:
– promouvoir la notion de bien public informationnel, un bien dont le responsable garantit l’accès et la durabilité.
– acter de nouvelles formes de production et d’accès au savoir. Actuellement, le savoir en ligne est parallèle à celui qui est dispensé dans les salles de cours. Le prendre en compte supposerait, par exemple, un ré-aménagement de l’architecture des campus, avec moins de salles de cours et plus de salles de travails avec accès en ligne.
– intensifier la politique de normalisation des formats afin de faciliter les échanges de savoirs en ligne. La mise en place de standards internationaux est essentielle.
– promouvoir une culture du traitement de l’information. C’est fondamental. Pour l’instant, la formation à l’outil informatique se borne à l’utilisation pure et simple des machines et des logiciels, mais elle ne prend pas du tout en compte la culture de la société de l’information.
Jacques Perriault n’appartient pas à la catégorie des optimistes de la société de l’information. Il est conscient aussi bien des problèmes que des avantages que les TIC apportent à notre société. Il y voit autant de défis que l’humanité aura à relever dans les prochaines années.