Je lisais l’autre jour sur Agora Vox une critique du livre « The Cult of the Amateur », un ouvrage d’Andrew Keen sur les dérives du Web 2.0. Dans ce mouvement qui traverse actuellement Internet, ce sont les utilisateurs qui fournissent l’essentiel des contenus du Web, sur des blogs, des wikis, des sites de partage de photos ou de vidéos, des podcasts,etc. Ils prennent le relais de professionnels, notamment les journalistes. L’auteur de la critique, Thierry Crouzet, un auteur bien connu (Le peuple des connecteurs) s’interroge sur cet avalanche de données dont la qualité n’est pas toujours le fort:
Pour moi, il y a une différence fondamentale entre la possibilité de tout dire et le fait de dire n’importe quoi. Malheureusement, le web 2.0 nous pousse souvent vers le n’importe quoi. Comme nous avons les moyens de nous exprimer, nous nous exprimons coûte que coûte même si nous n’avons rien à dire.
Il est évident que la qualité est un problème actuellement, mais c’est peut-être un problème passager. Les nouveaux outils qui apparaissent doivent être apprivoisés. C’est bien connu, quand on essaie un logiciel, on met le premier texte qui nous passe par la tête. Mais une fois qu’on maîtrise le logiciel, on peut vraiment se concentrer sur le contenu. Dans un autre article, Thierry Crouzet critique aussi l’utilisation massive de quelques portails (You Tube, Flickr, …), plutôt que la création de sites personnels avec des fonctionnalités originales. Il faut cependant considérer que ces portails apportent une visibilité qu’il est difficile d’obtenir en étant seul.
Ce qui me semble essentiel, c’est de reconnaître les caractéristiques des outils du We 2.0. J’en vois trois:
Désintermédiation
Grâce à Internet en général et au Web 2.0 en particulier, on peut se passer de toute une série d’intermédiaire. Avec le monde de l’impression, il était difficile d’être publié. Il fallait passer par toute une série de filtres. La nature de ces filtres influaient bien entendu sur les contenus, ce qui pouvait tuer une certaine créativité. Mais des intermédiaires économiques disparaissent, à commencer par le libraire du coin, certains titres de journaux. Tout n’est pas si rose pourtant: parallèlement d’autres intermédiaires surgissent, comme les prestataires de services Web. Ces nouveaux intermédiaires sont aussi en position d’imposer leurs conditions, par exemple les standards utilisés. Peut-être que nous avons à faire à une vaste redistribution des cartes, peut-être à un mouvement plus profond.
Méta-outil
Difficile de trouver un terme pour ce que je vais décrire. Je vais l’expliquer par une anecdote. Il y quelques temps, j’ai été amené à mettre en place une pétition en ligne pour défendre une noble cause (le maintien de l’enseignement du grec ancien). Bien entendu, cela s’est fait dans l’urgence. J’ai bricolé un système de pétition à partir d’un script PHP de livre d’or. Tout a bien marché (sauf que l’enseignement en question a bien été supprimé). Cependant quelques temps plus tard, en faisant une petite analyse de cette pétition, j’ai découvert plusieurs sites permettant de créer des pétitions en ligne, en quelques clics. Ce qui m’avait coûté quelques heures de codage pouvait désormais se faire en un tourne-main. De la même manière, on est passé du site person à la plateforme de blog. Sauf quand on a des besoins très spécifiques, on peut déjà tout trouvé en ligne. Et souvent le développement se confine à l’adaptation des produits existants. Ce phénomène induit une grande facilitation. De cette manière, les contenus se développement encore plus.
Esprit des bâtisseurs de cathédrale
L’esprit des bâtisseurs de cathédrale me semble revivre grâce à Internet. Le mouvement Open Source a montré l’exemple. Wikipédia aussi. Les gens, plutôt que de chercher à publier le livre de leur vie, travaillent à des édifices qui dépassent la tâche d’un homme unique comme une encyclopédie. On passe du désir de se mettre en avant à la collaboration. On a donné dans ce blog de multiples exemples de cet esprit. Pouvoir se dire « j’ai participé à tel projet, même modestement » représente quelque chose pour beaucoup.
La période que nous vivons est fascinante à observer. Il est peu aisé de dire sur quoi elle va déboucher. Cela dépend de l’issue de beaucoup de débats en cours (par exemple le droit d’auteur). On peut cependant raisonnablement admettre que ce que nous voyons est une vaste entreprise de mise à disposition, de mise en commun des savoirs et des expériences de l’humanité et cette entreprise n’est décidée par personne, dirigée par aucun comité éditorial. Chacun se sent appelé à y participer, selon ses possibilités. Qu’est-ce qui va émerger de la confrontation de tout ce contenu en ligne? Voilà la question la plus passionnante.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=26836
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=26720
Pour la pétition: http://www.duplain.ch/