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Le Web participatif, ce n’est pas mort, mais dépassé


Denkend aan Holland, originally uploaded by Humandecoy.

On m’a mis sous les yeux un article annonçant la mort du Web participatif. Ce genre d’annonce paraît régulièrement. On a prédit depuis longtemps la mort des blogs qui se portent à merveille (merci poeur eux!). Cet article se base bien évidemment sur une note de blog (!), dont l’auteur est François Guillot (blog Internet & Opinion). Le but de sa note est de montrer que ce qu’on appelle Web participatif repose en partie sur des mythes et des demies-vérités. L’auteur essaie donc de dégonfler – en quelques lignes – ces mythes, à commencer par Wikipédia, qui ne serait aussi comparable à la Britannica que ne le prétendait la très sérieuse revue Nature. L’intérêt du phénomène Wikipédia ne se situe pas dans sa qualité, mais dans son audience. Wikipédia est la première source d’information pour les internautes, bien aidée en cela par Google, il est vrai. Chacun peut l’éditer et c’est probablement ce qui fait son succès. Le savoir est intimidant, surtout pour ceux qui en ont peu. Par conséquent, une source d’information faite par des gens comme eux fait moins peur. Les plus courageux peuvent même y participer et partager les connaissances qu’ils ont. Dans son ouvrage « Wikipédia. Média de la connaissance démocratique? », Marc Foglia la définit comme une encyclopédie citoyenne, qui réunit du savoir froid, à savoir loin des débats académiques. Wikipédia a fait renaître l’idéal des Lumières du partage du savoir. Pour revenir au thème de la participation, j’ai déjà expliqué dans ce blog qu’il s’agit d’un phénomène plus complexe qu’il n’y paraît: alors que certains publient des contenus sous forme de textes, de photos, etc., d’autres passent du temps à gérer ces contenus, en les indexant ou alors en ajoutant les liens manquants dans les wikis. Contrairement aux blogueurs, les contributeurs de Wikipédia sont modestes. François Guillot montre qu’une des faiblesses des sites participatifs réside dans leur business model déficiant. Le financement de Wikipédia est intéressant: la Fondation qui la gère fait régulièrement des appels de don. Dernièrement, elle a obtenu la somme qu’elle a demandé, à savoir 6 millions de dollars. Il existe bien d’autres activités qui vivent de dons, à commencer par les organisations caritatives. Alors pourquoi pas une encyclopédie.
Autre site participatif pourfendu par notre blogueur: Flickr, un site qui suscite mon admiration depuis longtemps. L’auteur essaie de montrer que le pourcentage des personnes qui sont actives sur les sites participatifs est faible: peu de personnes publient beaucoup de contenus. Et pour cela, il avance des chiffres: dans Flickr, seuls 2% des utilisateurs livrent 95 % du contenu. On manque de s’étouffer quand on consulte la table de données à laquelle il se réfère. Elle est faite à partir de sources multiples sur plusieurs années. La référence à un sondage de 2006 auprès de 573 utilisateurs de 4 sites de partage de photos et vidéos en Allemagne laisse pantois. Le critère qui définit les utilisateurs de Second Life participant aux contenus comme ceux qui effectuent un achat n’a que peu de sens, à moins que l’on considère le fait de s’habiller et de se coiffer comme des actes créateurs.
http://internetetopinion.files.wordpress.com/2007/08/image-5.png
Pour revenir à Flickr, on a peu de chiffres à disposition pour savoir si ce que prétend notre blogueur est vrai. Actuellement, Flickr compte 3 milliards d’images. Il est difficile de savoir combien Flickr a d’utilisateurs actifs. Le nombre de personnes qui ont ouvert un compte (en ayant d’abord un compte Yahoo) et qui sont venues une fois sur le site est certainement nombreux. C’est un phénomène général à Internet. Flickr offre un produit payant destiné aux photographes professionnels et assimilés. Ces utilisateurs-là ont forcément de grandes quantités d’images. Il faudrait donc pouvoir distinguer ces deux types de comptes. On sait que le site est visité par 42 millions de visiteurs par mois (avril 2008). Une chose est sûre, c’est que le 100% du contenu a été publié par des internautes.
En fait, après avoir effectué quelques recherches, on n’a que deux chiffres à disposition: le nombre total d’images publiées entre février 2004 et novembre 2008 (3 milliards d’images en 1735 jours) ainsi que le nombre de visiteurs moyens dont on ne connaît pas la proportion d’utilisateurs actifs.

Nombre d’utilisateurs: http://yhoo.client.shareholder.com/press/releasedetail.cfm?ReleaseID=303857
Nombre d’images: http://blog.flickr.net/en/2008/11/03/3-billion/

A l’aide de ces chiffres, qui valent ce qu’ils valent, essayons de voir si les valeurs données par François Guillot tiennent la route. En moyenne, 1,7 mio de photos ont été publiées par jour (mais l’augmentation est exponentielle, le dernier milliard ayant été atteint en moins d’un an). Le site a 1,4 millions de visiteurs par jour (mais il peut s’agir de détenteurs de comptes professionnels comme de simples visiteurs). Si 2% de ces visiteurs livrait le 95% du contenu, cela signifierait que, chaque jour, 28’000 personnes mettent 1,6 mio de photos, ce qui fait, en moyenne, 57 photos pour chacune de ces personnes actives. En prenant en compte, le travail d’indexation, cela nécessite quand même un peu de temps, plus d’une heure en tout cas. Et si on refait ces calculs à partir d’un nombre d’utilisateurs plus bas, qui ne seraient alors que les utilisateurs pourvus d’un compte, on aurait pour le 2% d’hyperactifs un nombre d’images par jour encore plus important. Il faut tout de même qu’ils trouvent le temps de prendre des photos avant de les charger sur Internet. Ce 2% n’est réaliste que si on considère l’activité journalière. Chaque jour il y pourrait bien n’y avoir que 2% des utilisateurs qui chargent 95% des photos, par exemple des gens qui rentrent de vacances, d’excursion ou qui ont participé à un mariage. Mais le lendemain, ces 2% ne sont pas les mêmes personnes. Les images sont donc distribuées entre un nombre d’utilisateurs plus important que 2% des utilisateurs totaux. Il faut aussi tenir compte du fait que les comptes gratuits ont des limitations (100 MB de téléchargement par mois). De plus, je visite régulièrement Flickr, mais je n’ai jamais vu de comptes avec un nombre gigantesque de photos. Or si seuls 2% des utilisateurs livraient 95% du contenu, on devrait forcément tomber sur des portofolios immenses. C’est donc plus simple d’imaginer que sur Flickr beaucoup de personnes téléchargent un nombre raisonnable d’images. 3 milliards, c’est une masse importante (comme si près d’un terrien sur deux avait téléchargé une image). Mais ce n’est rien à côté de Facebook qui, en octobre dernier, en annonçait 10 milliards pour 150 millions d’utilisateurs (67 photos par utilisateur en moyenne). Chaque mois, 800 millions de photos sont chargées (5,3 photos par utilisateur en moyenne mensuelle).

http://www.facebook.com/note.php?note_id=30695603919

Dans un site comme Flickr, on ne peut pas du reste limiter la participation au fait de télécharger des images. On a vu avec Wikipédia que contribuer ne signifie pas seulement livrer des contenus, mais aussi les gérer. Avec Flickr, il est possible d’aller encore plus loin et de mettre en valeur des contenus. A cause de la richesse des fonctionnalités disponibles, il est difficile de définir un utilisateur actif. On peut en distinguer trois catégories:

– ceux qui visitent le site
– ceux qui produisent du contenu (dont une partie de professionnels)
– ceux qui valorisent les contenus

Cette valorisation peut se faire de plusieurs manières:

– attribution de mots-clés à des contenus
– création et gestion de groupes à propos d’un thème et discussions autour de ces images
– exportation des images, des vidéos ou des diaporamas sur des blogs ou des sites Web externes

Flickr est un plus qu’un site participatif. Il constitue une sorte d’éco-système d’information. Certains (les plus talentueux dont je ne fais pas partie) produisent des images et les publient sur Flickr. D’autres facilitent l’accès à ces images en les indexant. Cela n’a l’air de rien, mais sur un site qui compte 3 milliards de photos, c’est essentiel pour améliorer la recherche. Les utilisateurs annotent les photos et peuvent même prendre contact avec leur auteur (car Flickr tient aussi du réseau social). Enfin, ils peuvent exporter ces images pour enrichir leurs propres contenus, blogs ou sites. Flickr offre une fonction d’exportation vers les principales plateformes de blog et une possibilité d’intégrer des diaporamas. On peut par exemple intégrer à un site un diaporama géré par un mot-clé (photos avec le mot-clé « pyramide ») ou par un groupe. A dire vrai, Flickr a dépassé le stade du site participatif et il est en train d’évoluer vers le Web 3 (sémantique). Ce Web sémantique émerge peu à peu: de plus en plus de contenus sont enrichis de méta-données et exportables grâce à des API, permettant un véritable remixage de l’information. N’en déplaise à un certain baron, l’important n’est plus de participer, mais de mettre en valeur.

François Guillot se bat contre des moulins, mais il le sait. Dans les commentaires de sa note de blog, il admet qu’étant à la recherche d’audience, il s’est montré un peu provocateur …