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Musée virtuel muséographie virtuelle

Le musée en ligne

J’ai participé en tant qu’intervenante dans un atelier lors des premières Assises du Réseau romand Science et Cité. L’atelier pour lequel je devais faire un des exposés introductifs destiné à lancer la discussion et qui avait pour thème « Virtualités: musées virtuels et présence muséale sur Internet » a été précédé d’un exposé lumineux de François Mairesse. Ce grand spécialiste des musées a montré combien le musée d’aujourd’hui pouvait se décliner en diverses combinaisons, à partir d’idées et de contestations issues des années 1960-70. Des musées vitrines aux musées expériences, des musées bricolés aux musées d’architecte qui font oublier le contenu à leurs visiteurs, des musées au discours autoritaire aux musées participatifs, des musées réels aux musées numériques. Ainsi le musée, en tant que forme, est bien virtuel et chaque musée que nous visitons en constitue une actualisation possible.

De mon côté, j’ai soumis l’idée de l’émergence d’une nouvelle muséalité sur Internet, basée sur des pratiques différentes issues de la culture numérique. Une sorte de muséalité parallèle à celle des musées de briques et de ciment. La muséalité est une attitude humaine fondamentale qui vise à choisir des objets de la réalité pour leur attribuer un sens particulier. Cette attitude explique par exemple la tendance à la collection et à la conservation d’objets: bibelots dans une boîte en fer blanc ou souvenirs de familles pieusement conservés dans un grenier. Les sociétés elles-mêmes collectionnent à travers leurs musées, leurs archives et leurs bibliothèques.

Le support a des conséquences importantes sur les pratiques. Si une muséalité émerge dans le monde numérique, elle sera influencée par la nature des technologies numériques. Ces dernières sont basées sur trois piliers:

  • La numérisation
  • L’algorithmique
  • La mise en réseau

La numérisation est un processus réduisant les contenus en langage binaire. Dans la réalité sensible, ces contenus apparaissent comme très différents : image, son, texte. Mais pour un ordinateur, ils ne sont qu’une suite de 0 et de 1.
Un algorithme est un énoncé dans un langage bien défini d’une suite d’opérations permettant de donner la réponse à un problème. On trouve des algorithmes s’appliquant à divers objets : compression de données, tri, cryptographie, graphes, graphisme, génie logiciel, mathématiques, texte. En termes plus clairs, l’algorithmique permet de manipuler les contenus numériques, par exemple en les identifiant (moteur de recherche), en les modifiant (transformations graphiques), en les remixant (logiciels de montage vidéo).
La mise en réseau consiste à tisser des liens entre différentes machines. Les données sont stockées de manière décentralisée, mais accessibles de tout autre point sur le réseau. Il existe aujourd’hui plusieurs réseaux : Internet, les réseaux téléphoniques, les réseaux de télévision. Pratiquement toute les contenus circulant sur ces réseaux sont numériques maintenant.
Ces trois piliers des technologies de l’information affectent profondément les contenus qu’elles traitent. Un des effets les plus importants est la suppression de la notion d’original. Dans le domaine de la photographie numérique, un fichier peut être copié sans aucune perte de qualité. De nombreuses bibliothèques ont conservé des manuscrits d’écrivain et ces documents ont été très étudiés, car ils permettaient de mieux comprendre la démarche de l’auteur. Ces documents n’existent plus (ou de moins en moins) pour les écrivains de notre siècle. Le recours au traitement de texte rend difficile ce type d’études. En revanche, tout l’historique du travail collaboratif de Wikipédia est visible et accessible (et la consultation de ces historiques est parfois hautement intéressante). Il n’y a donc plus d’original dans le monde numérique (ou alors il doit être créé artificiellement, comme on le voit parfois dans Second Life). Le succès se mesure plutôt à la copie, à la diffusion et à la réutilisation des fichiers dans le monde numérique. Les internautes adorent s’envoyer des fichiers numériques ou les republier sur leurs blogs. Ils aiment retravailler les ressources numériques et les remixer.

Il est certainement trop tôt pour dégager les grandes lignes d’une muséalité en ligne, mais on peut déjà esquisser quelques tendances déjà existantes aujourd’hui sur diverses plateformes comme la blogosphère, le Web collaboratif (comme Wikipédia), les sites de partage de fichiers images, audio ou vidéo, les réseaux sociaux, les univers persistants en 3D:

  • La copie qui permet de s’approprier une œuvre, de la diffuser.
  • Le partage a été popularisé par les plateformes peer to peer. C’est devenu une philosophie. Les licences Creative Commons sont très utilisées pour permettre aux autres d’utiliser ses propres créations, avec ou sans citation.
  • La transformation est devenue un élément essentiel de la création, comme on le voit surtout dans le domaine musical. Des morceaux de musique sont mis à disposition des internautes qui peuvent ensuite les remixer. On peut parler de co-création ou de création collective.
  • L’indexation est une pratique plus pointue, mais très présente sur le Web sous la forme d’indexation sociale ou folksonomy. Elle consiste à attribuer des mots-clés à des objets en ligne. Cette pratique peu visible est pourtant essentielle pour l’amélioration de l’accès aux contenus, notamment les contenus non textuels.
  • L’ouverture des systèmes (mash up, API) permet d’utiliser diverses sources pour créer une mise en valeur des contenus. C’est le cas, par exemple, de cartes dynamiques créées avec des systèmes cartographiques ouverts.

Olivier Glassey a présenté aussi un exposé consacré à la folksonomy ou indexation sociale. C’est une pratique très visible dans un site comme Flickr et c’est un des principaux outils permettant d’exploiter les 3 milliards du site. Il a évoqué le projet Steve, dont le but est d’étudier la pratique de l’indexation sociale sur des sites de musées. Il a relevé que 90% des concepts entrés par les internautes ne font pas partie de la documentation du musée.

Dans la discussion qui a suivi, il y a peut-être trois points à relever:

  • l’effet diligence du transfert des musées actuels dans le monde numérique
  • la question de l’original
  • la question de l’autorité et du rôle du musée dans la diffusion du patrimoine

L’effet diligence du transfert des musées actuels dans le monde numérique

Le transfert des musées sur Internet n’est pas aussi évident qu’on le pense. Des investissements sont consentis et l’intérêt du public n’est pas forcément là. Une des raisons pouvant expliquer cette situation est certainement l’effet diligence. Dans l’histoire des techniques, on a remarqué qu’une innovation reste imprégnée de la technologie qu’elle remplace. Ainsi les premiers wagons de chemin de fer ressemblaient-ils à des diligences.

Internet a généré son propre langage et ses propres codes. Une muséographie en ligne doit s’adapter aux habitudes des internautes et non l’inverse. Cela nécessite un travail de réflexion important et de meilleures connaissances des technologies de l’information de la part des professionnels des musées. Dans mes observations des sites de musées, je relève souvent la platitude des applications ludo-éducatives pour les enfants, qui n’offrent aucune comparaison possible avec ce que ces mêmes enfants expérimentent sur leur ordinateur ou leur console de jeux.

L’original

Le rôle premier des musées est la conservation des oeuvres et objets pouvant témoigner des activités humaines, mais aussi de la nature. Ce rôle se complique maintenant par la notion de patrimoine immatériel. S’il n’y a aucun doute sur la nécessité de conserver des oeuvres et des objets, on peut en revanche se demander si seul l’original est digne d’être vu. C’est certainement une conception culturelle qui varie avec l’âge et les cultures, tout comme les modes de jouissance de l’art sont différentes selon les aires culturelles. La copie a été la norme pendant longtemps, comme en témoignent les musées des moulages. Elle revient aujourd’hui à travers des expositions comme celle qui reconstituait la tombe de Toutankhamon. Il est difficile de savoir pourquoi notre époque attache autant d’importance à l’original. Peut-être que l’aisance matérielle dans laquelle nous baignons nous fait-elle désirer des objets authentiques. Peut-être également que la facilité de se déplacer nous fait-elle préférer l’original à la copie. Pourtant quand je me rends dans des musées, j’ai le sentiment que les visiteurs viennent y faire leur copie personnelle, munis d’appareils photographiques et de caméscopes, pour en jouir plus tard, chez eux, en famille ou avec des amis, ou même sur Internet, sur des sites de partage. Le terme « museum »apparaît dans le nuage de mots-clés les plus populaires , ce qui signifie que le musée fait partie des lieux où l’on prend des photos.

Du reste, tous les musées ne travaillent pas avec des pièces uniques originales : c’est essentiellement le cas des musées d’art et d’histoire. Les musées vivants commes les jardins botaniques ou les zoos montrent essentiellement les individus issus de lignées. Les musées d’archéologie et d’anthropologie ont souvent des objets qui appartiennent eux-mêmes à des séries, notamment les objets de la vie quotidienne, mais aussi des objets de rituel. Les objets uniques sont souvent liés à la création artistique. Mais même dans ce domaine, on a souvent affaire à des copies anciennes : c’est le cas de beaucoup de statues grecques qui ont été copiées à l’époque romaine.

La question de l’autorité et du rôle du musée dans la diffusion du patrimoine

La participation et la collaboration sont la norme dans le Web d’aujourd’hui. Les internautes peuvent aussi bien apporter des contenus nouveaux que commenter ceux qui existent. Leurs traces sont également souvent utilisés pour mieux hiérarchiser les contenus (les plus vus ayant souvent la meilleure place). Internet offre donc un grand contraste avec la manière dont les musées conçoivent leur rôle de médiateur. Le visiteur est rarement invité à parler (ou seulement dans le cadre d’enquêtes de satisfaction).

Le musée sur Internet peut-il être 2.0, c’est-à-dire participatif? La réponse à cette question demande quelques nuances, étant donné que, dans bien des cas, il n’est pas possible d’éliminer le rôle des personnes compétentes dans la médiation. Que peut-on demander aux visiteurs des sites?

– donner leur vision de la matière concernée comme alternative à la vision interne aux musées. On a vu que dans les expériences d’indexation sociale, 90% des termes saisis par les internautes ne sont pas dans la documentation des musées. Cette vision extérieure permettra sans doute aux musées d’améliorer l’accès aux objets des collections et leur présentation. Si le terme « hydrie » ne dit plus rien au public d’aujourd’hui, autant employer celui de carafe (puis préciser dans une notice).

– brasser les collections et faire de nouveaux choix. Le choix des oeuvres, des objets, des sujets d’intérêt est soumis à une certaine inertie. Laisser le public accéder à l’ensemble des collections peut permettre de faire remonter quelques oeuvres à la surface. Ce phénomène a été observé sur Amazon: les commentaires des utilisateurs mentionnant des ouvrages plus anciens sur le même sujet que le livre recherché ont relancé la vente de ces ouvrages.

– laisser le public poser les questions et organiser les réponses grâce à un réseau de personnes compétentes.Le site TSR Découvertes est une excellente illustration de cette méthode (http://www.tsrdecouverte.ch/).

– ouvrir à un plus grand nombre de personnes la possibilité de devenir curateur ou commissaire d’exposition. Beaucoup de personnes rêvent de travailler dans un musée et en ont les compétences. Les technologies de l’information permettent de créer un musée virtuel en ligne à peu de frais.

On le voit bien, le musée 2.0 n’est pas forcément aussi radical qu’on l’imagine. Il instaure simplement une meilleure interaction entre les visiteurs et les musées.

Pour terminer, il faut peut-être noter que dans le monde des bibliothèques, la transition vers les technologies de l’information se fait sans accroc. On peut accéder aussi bien aux références des ouvrages qu’à une partie des ouvrages eux-mêmes. Et personne ne doute du bénéfice que cela peut apporter. Pour s’en donner une idée, il faut aller consulter la bibliothèques de manuscrits e-codices:

http://www.e-codices.unifr.ch/fr

Site des Assises du Réseau romand Science et Cité : http://www.rezoscience.ch/rp/sc/assises.html