Sur le site de la Maison Blanche, on peut voir une série de vidéos montrant des collaborateurs du Président Obama en train d’expliquer sa politique ou ses actions. Jusque là rien de bien étonnant. Mais ces différentes vidéos se distinguent par divers traits des films officiels où l’on voit par exemple le Président en train de faire un discours. Souvent la caméra bouge. Les films sont faits, non pas en studio, mais dans les endroits les plus divers, comme le hall d’un hôtel, la cabine d’Air Force One ou bien un tarmac d’aéroport. On entend tous les bruits de fonds: passants qui parlent ou bruits d’avion. Il y a souvent des dialogues entre le caméraman et la personne filmée, du genre “C’est bon? Je peux y aller?”, quand on ne voit carrément pas le caméraman retournant l’objectif contre lui à la fin. Enfin, on voit ici et là des touches personnels comme un petit coucou à la famille.
On est en droit de se demander pourquoi ces vidéos qui font très amateur paraissent sur un site de cette importance. C’est que la communication, même celle des plus grands, est en train de verser dans une nouvelle tendance: good enough. Récemment, un article remarquable de la revue américaine Wired a mis le doigt sur un changement de paradigme qui atteint de nombreux domaines, notamment les technologies de l’information et les appareils numériques. Il n’y a pas si longtemps, la qualité constituait un critère essentiel pour les biens de consommation. On voulait ce qu’il y avait de mieux sur le marché. Aujourd’hui, on se contente de ce qui est bon marché pour autant que cela marche. Ce changement de paradigme semble bien aller au-delà des objets comme des appareils photos, pour atteindre des pratiques. Auparavant une vidéo supposait un processus complexe: prise, montage et seulement ensuite publication. Dans l’exemple ci-dessus, on a un seul plan ininterrompu. Il n’y a plus de montage. On se contente de rajouter un générique de début et de fin et des sous-titres, ce qui peut être fait avec des logiciels simples. On ne cherche pas à isoler le sujet en utilisant un studio. Le film est fait là où se situe l’action. Ce qui est amusant dans ce cas, c’est que le procédé est rendu visible, avec l’apparition du caméraman à la fin.
Il ne s’agit d’un exemple isolé. Alors qu’Angelina Jolie et Brad Pitt ont fait tout un cinéma pour la publication des photos de leurs jumelles, Roger Federer a réduit la communication à son degré zéro. Il a publié une photographie prise par son père sur son profil Facebook. Prix de l’opération totalement gratuit, avec un impact énorme: plus de 140′000 commentaires et reprise dans tous les médias du monde.
Aujourd’hui encore, de nombreuses photos publiées sont retouchées grâce à des logiciels graphiques sophistiqués. Tout est lissé, rajeuni, embelli. Mais la tendance “sam suffit” risque de venir bousculer la donne et de redonner un peu de place à l’authenticité et à la spontanéité. Il ne faut pas tomber dans l’angélisme non plus: la tendance “good enough” peut aussi donner lieu à des constructions (ce qui est un peu le cas des vidéos de la Maison Blanche). Dans le domaine de l’information, cette tendance à se contenter d’une qualité suffisante est certainement liée à deux aspects essentiels du Web: la communication en temps réel et la participation. Des canaux d’information aussi instantanés que Twitter ne laissent plus le loisir d’entrer dans des studios pour y faire des photos ou des vidéos bien léchées, publiés dans les délais imposés par la post-production. L’événement n’est pas fini que des photos doivent déjà être sur Internet, quitte à être prises avec un téléphone portable. La qualité moyenne ou juste suffisante est le prix à payer pour l’information en temps réel. De plus, ces vidéos ou ces photos donnent l’impression à chacun qu’il peut faire la même chose sur son propre profil Facebook, ce qui conforte l’idéologie participative d’Internet.
The Good Enough Revolution: When Cheap and Simple Is Just Fine, Wired, 24.08.2009