Le projet HORIZONS 2015, soutenu par de nombreuses associations, groupes de travail et organisations d’archéologie, a pour ambition, au cours des années 2010-2015, de répondre aux défis posés à l’archéologie en Suisse : polémique sur la réduction du droit de recours des associations, augmentation des fouilles de sauvetage dû au boom de la construction, manque de temps pour l’élaboration des données acquises lors des fouilles d’urgence, insuffisance des structures nationales dans la mise en place de stratégies de recherche, de thèmes et de standards communs, coupes budgétaires, situation précaire de l’emploi pour de nombreux archéologues, réduction des effectifs des diverses associations, etc. Suite à un concours d’idées, plusieurs groupes de travail ont été mis en place, dont un groupe « Nouvelles technologies et médias ». L’association HORIZONS 2015 a organisé une manifestation destinée à tracer un premier bilan des divers travers. Cette manifestation s’est tenue à Bâle le 18 janvier 2013.
Evaluation de la présence de l’archéologie suisse sur Internet
Le groupe de travail « Nouvelles technologies et médias », dirigé par Robert Michel (@archeofacts), et dont je fais également partie, a pour mandat de réfléchir à l’utilisation des nouvelles technologies dans le domaine de l’archéologie suisse . Il a décidé de commencer ses travaux par un inventaire des ressources disponibles en ligne. Cet inventaire contient les sites Web des services cantonaux d’archéologie, des musées comportant une collection d’archéologie, des instituts universitaires d’archéologie, des organisations faîtières ainsi qu’un certain nombre de ressources en ligne liées à l’archéologie suisse.
Une fois l’inventaire établi, les différents sites ont été analysés selon une liste de critères : type de site (page d’information, site brochure, ressource), intégration dans un portail ou site indépendant, logique de la structure de navigation (thématique, organisationnelle, selon des tâches, géographique), présence d’actualités, de ressources en ligne (par ex. publications, rapports, …), de listes de liens vers d’autres sites, d’informations géo-localisées (par ex. carte archéologique), d’explications sur les méthodes de l’archéologie, d’informations concernant les procédures d’annonce de découverte ou les bases légales de l’archéologie.
Miroir de l’organisation de l’archéologie institutionnelle
Cette analyse des sites permet d’établir une première synthèse sur la présence de l’archéologie suisse sur Internet. Les informations disponibles sur le Web ne permettent pas de donner une image d’ensemble du thème en question. Elles constituent essentiellement un miroir de la manière dont l’archéologie est organisée, qu’il s’agisse d’archéologie préventive, de recherche académique ou de mise en valeur muséale. Le fédéralisme de la Suisse veut que l’archéologie préventive soit de la responsabilité des cantons. Il en va de même des universités. Quant aux musées, ils peuvent être intégrés dans une structure cantonale ou communale. Les sites d’organisations faîtières, sans doute pour respecter cette autonomie cantonale, se contentent de créer des liens vers les sites des diverses institutions. Il faut cependant être conscient que, pour une personne qui ne connaît pas le système suisse, la recherche d’information est quasi impossible. En effet, il faut savoir au préalable dans quel département de l’administration cantonale l’archéologie est intégrée ou dans quelle faculté d’une université elle est enseignée. Ainsi, presque tous les sites présentent des listes de publications et parfois les offrent en téléchargement en PDF. Ces publications sont éparpillées sur de nombreux sites. Une personne souhaitant s’informer sur le Néolithique suisse doit visiter donc tous les sites des services cantonaux d’archéologie. Il en va de même de la rubrique « Actualités » disponible dans la plupart des sites : il n’y aucun moyen de s’abonner à l’ensemble des actualités.
Plus grave encore, aucun des sites observés ne présente les principales périodes, cultures et objets représentatifs de l’archéologie de la Suisse dans une forme accessible au grand public et cela alors que les technologies de l’information permettent de mettre à disposition à peu de frais des informations sous des formes visuelles très attractives (frise chronologique, carte de géographie, galeries de photos par exemple).
Le matériel photographique de qualité est rare. Les différentes institutions rechignent à mettre à disposition des images d’objets qui appartiennent pourtant au domaine public et qui ont été trouvés, conservés et mis en valeur majoritairement grâce à des fonds publics.
Les informations géo-localisées sont rares et, d’une manière générale, l’information archéologique ne tire pas parti des technologies les plus récentes, comme les téléphones portables équipés d’un GPS ou la réalité augmentée. Il n’y a pas de traces non plus d’utilisation d’applications collaboratives (Web 2.0). A part dans certains musées, les médias sociaux sont très peu utilisés.
Méconnaissance de l’expérience de l’utilisateur
Si les spécialistes locaux de l’archéologie, qui savent comment elle est organisée, peuvent éventuellement se contenter de la situation actuelle, elle ne satisfait pas d’autres groupes d’utilisateurs, dont voici quelques exemples : chercheurs étrangers, grand public suisse et étranger, touristes potentiels, écoliers, gymnasiens et étudiants, journalistes, décideurs et bailleurs de fonds.
Si les institutions archéologiques elles-mêmes ne mettent pas à disposition une présentation synthétique et grand public de l’archéologie de la Suisse, la manière dont elles publient leurs données et l’absence d’une culture du partage de l’information constituent un véritable blocage qui empêche cette information d’être accessible via des plateformes extérieures très utilisées. Ainsi une recherche sur Google avec le terme « Archéologie de la Suisse » conduit directement vers les sites d’organisations faîtières qui ne contiennent justement aucune information thématique, se contentant de renvoyer vers les sites des institutions cantonales.
Requête sur Google avec le terme “Archéologie de la Suisse” effectuée le 19.01.2013 (cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Pire encore, l’article « Archéologie suisse » dans Wikipédia, un des sites les plus consultés au monde, contient seulement une mention de la revue du même nom. Là non plus, aucune mention des principales périodes et cultures. Aussi bien sur Google que sur Wikipédia, on parvient à des résultats analogues avec des recherches en langue allemande.
Des solutions ?
La présentation de ce premier bilan a provoqué une onde de choc lors de la rencontre de Bâle. En effet, chacun a pu prendre conscience qu’en dépit d’efforts louables, l’efficacité de la communication concernant l’archéologie de la Suisse à destination du grand public n’est guère efficace.
Pour remédier à cet état de fait, il faudrait effectuer une révolution culturelle. Il paraît en effet essentiel de sortir tout d’abord de la logique institutionnelle dans la communication à destination du grand public. Ensuite il faudrait adopter une attitude radicalement différente vis-à-vis des droits d’utilisation. Anecdote amusante : lors de la présentation de ces résultats, une personne dans le public a déclaré que lorsqu’il a demandé une photographie en version numérique à un musée, ce dernier lui a envoyé, en plus de la photo, une facture. Une représentante du musée en question s’est empressée de dire qu’il fallait prendre contact par téléphone pour avoir un rabais. Voilà qui rend la diffusion des informations singulièrement compliquée. Qu’on le veuille ou non, les découvertes archéologiques font partie du domaine public. Elles sont conservées, étudiées et mises en valeur grâce à des fonds publics. Il faut donc instaurer une culture du partage, en mettant à disposition des informations et des photographies sous des licences permettant leur réutilisation et utiliser les plateformes de partage de l’information les plus populaires comme Wikipédia ou Flickr. La nature et le format des informations pourraient aussi faire l’objet d’une réflexion : si la rigueur scientifique est de mise dans les publications à destination des archéologues professionnels, une approche journalistique et un accent mis sur des anecdotes illustrant le travail des archéologues et de ceux qui les entourent intéressera plus le grand public. Publier sur Internet ne suffit peut-être pas pour diffuser des informations. Les médias sociaux devraient être donc mieux exploités pour toucher un public plus vaste. Enfin il serait bon que les archéologues et notamment les étudiants en archéologie aient la possibilité d’acquérir des connaissances dans le domaine des nouvelles technologies.
Les solutions permettant de mettre en valeur l’archéologie de la Suisse sur Internet existent. Elles vont de l’amélioration des informations sur Wikipédia à la création d’un portail d’actualités de l’archéologie suisse en passant par la réalisation d’applications pour téléphones mobiles intelligents. Certaines n’entraînent aucun frais alors que d’autres supposent des ressources et un ancrage institutionnel. L’établissement d’un catalogue de solutions et de mesures est le but que ce groupe de travail « Nouvelles technologies et médias » doit maintenant poursuivre d’ici à 2015.
Lire encore à ce sujet une note sur le blog Archéo Facts tenu par Robert Michel.
Slides de la présentation