Au moment où le monde entier s’extasie de voir un petit robot, Curiosity, explorer les cailloux martiens à coup de rayons laser, Neil Armstrong, le premier humain à avoir foulé le sol lunaire, à avoir marché sur un autre corps céleste que la Terre, meurt à l’âge 82 ans. La coïncidence de ces deux événements peut nous inciter à réfléchir au sens de la recherche spatiale pour l’humanité. Neil Armstrong a acquis une stature héroïque qui le met au niveau d’un Christophe Colomb. Oubliés les milliers d’ingénieurs qui ont oeuvré à la construction de fusées pour permettre son exploit. C’est lui et lui seul dont le nom restera inscrit dans les livres d’histoire. On aurait cependant tort de minimiser son exploit. Quand on voit, avec le recul, ce qu’était une fusée Saturne ou bien quand on repense à la structure du LEM, le véhicule qui alunissait et dont la partie supérieure permettait de repartir, on mesure le courage qu’il fallait pour s’embarquer dans cette aventure. Alors que nous envoyons des robots explorer les planètes du système solaire, les hommes qui sont partis à la conquête de l’espace et de la lune avaient tous une carrure d’exception. A la fois pilotes d’essai, pilotes militaires et ingénieurs, ils avaient des curriculum à faire pâlir. Pour se rendre compte de leur état d’esprit, il faut voir le film “L’étoffe des héros”. Ils voulaient voler plus vite, plus haut, plus loin, et cela dans le contexte de la guerre froide et d’une folle émulation entre Américains et Russes. L’honneur de poser le pied sur la lune aurait pu échoir à n’importe lequel de ces hommes, mais ce fut Neil Armstrong. Il semble qu’il fut choisi parce qu’au moment du vol d’Apollo XI, Armstrong était un civil. Or les Américains avaient proclamé, sur une plaque fixée sur la base du LEM, et qui se trouve toujours sur la Lune, qu’ils venaient en paix au nom de l’humanité. Au-delà de la stature de héros, qu’il n’a jamais endossé complètement, Neil Armstrong était un homme humble. Il a toujours pensé qu’il n’avait qu’accompli son devoir et il ne cherchait pas à en retirer une gloire personnelle. La mort de Neil Armstrong, c’est peut-être aussi la mort d’une certaine conception de l’aventure humaine. Nous avons atteint un tel stade d’individualisme que bien peu de gens arrivent encore à s’identifier à un projet qui les dépassent et qui ne se réalisera peut-être pas de leur vivant ou bien à un projet nécessitant un haut taux d’abnégation et une grande part de risque. Comme les astronautes des années 60, les marins de l’époque des grandes découvertes avaient cet esprit aventureux. L’homme a sans cesse repoussé les limites de son univers, mais maintenant il cherche à le faire de manière virtuelle, par le biais de simulations ou en utilisant des robots.
C’est certainement pour cela que la mort de Neil Armstrong m’a attristée. Les images de cet homme engoncé dans son scaphandre spatiale, sautillant sur la surface désolée de la lune en ramassant des cailloux m’ont fait rêver durant mon enfance. Mais la réalisation des rêves que la conquête de la Lune a suscités, comme le voyage vers Mars, est bien lointaine. J’ai appris la mort de l’astronaute sur Twitter, au moment où j’assistais à un concert dans Second Life (que de virtualités). J’ai demandé à la chanteuse d’interpréter la chanson de Frank Sinitra “Fly me to the Moon” en souvenir de lui, ce qu’elle a accepté de faire. Et hier, en allant assister à un spectacle sous la forme d’un banquet antique sous les étoiles, j’ai fait un clin d’oeil à la lune, comme l’a demandé la famille de l’astronaute à ceux qui souhaitait honorer sa mémoire.