Internet offre depuis déjà longtemps la possibilité d’avoir une existence virtuelle. Une identité dans un tchat, c’est déjà le début d’une vie dans le cybermonde. Mais il y a mieux aujourd’hui : les univers virtuels. Réservés au départ aux joueurs en réseau, ils s’ouvrent désormais à chacun. Plus besoin d’avoir envie de tailler de l’orque ou du robot intergalactique. On peut s’y promener sans autre but que … d’y faire de bonnes rencontres. Nous en avons visité deux pour vous.
Le premier s’appelle Habbo Hotel. Il s’agit d’un monde virtuel conçu par des Scandinaves, mais qui est disponible dans plusieurs langues, dont le français. La première chose à faire, une fois inscrit (l’inscription est gratuite), c’est de créer son avatar, c’est-à-dire le personnage virtuel qui nous représente dans cet univers virtuel*. Dans Habbo, on ressemble un peu à des Playmobils. La palette de vêtements à disposition est assez riche. Il y a même des couvre-chef qui attestent de l’origine nordique d’Habbo : une paire de bois de renne ou un bonnet de Père-Noël. Mais avec cela, il faut assumer ! Dès le départ, on choisit un appartement de la taille qu’on veut. Et ensuite, on peut partir à la découverte des nombreux endroits du complexe Habbo : il y a le Café Cosmos, le Salon de thé, un studio de TV (très fun comme endroit), une bibliothèque, etc.. On promène donc son petit bonhomme dans cet univers et l’on croise de nombreux congénères. Pour interagir avec les autres avatars, il suffit de leur écrire comme dans un salon de tchat, de leur envoyer des messages privés ou de leur demander de devenir amis. Le monde d’Habbo réunit avant tout une communauté d’adolescents. En principe, il faut montrer patte blanche si on n’a pas 13 ans, mais la moyenne d’âge doit tourner autour de 14-16 ans. Le système se prétend modéré, mais il suffit de lire les messages qui s’échangent pour réaliser qu’il est simple de traiter quelqu’un de ce qu’on veut, pour peu qu’on torture l’orthographe. Quant à la langue utilisée, c’est clairement celle des sms. Parfois ces rébus supposent une certaine sagacité.
Avec Second Life, on entre dans un autre monde. Tout d’abord, l’avatar n’est pas une caricature, mais tente de s’approcher de la réalité. Cependant, pour ceux qui souhaitent une certaine fantaisie, des formes mutantes (tête de lapin ou de renard et corps humain par exemple) sont disponibles. Second life est un monde beaucoup plus vaste et complexe qu’Habbo. On se promène dans de véritables paysages qui sembleront familiers à ceux qui pratiquent régulièrement des jeux vidéos. Les modes de déplacement sont analogues du reste (et on peut voler !). Les méthodes d’interactions sont les mêmes que dans Habbo. Cependant, Second Life offre d’autres possibilités d’action : prendre des objets, les toucher, voire en créer. La langue utilisée est l’anglais (l’anglais international bien entendu : rien à voir avec ce qu’on parle à Oxford) et on y croise des gens du monde entier. Quant à la moyenne d’âge, elle semble plus élevée que dans Habbo, bien que le comportement de certains avatars laissent deviner la présence d’adolescents (notamment quand ils s’amusent à faire des combats d’épées laser).
On parlera certainement à plusieurs reprises de ces univers virtuels. On se bornera aujourd’hui à relever un paradoxe. En effet, si ces univers sont accessibles gratuitement, ils offrent de nombreux services payants. Dans Habbo, la participation à certaines activités ludiques est payante, de même que l’achat de mobilier pour son appartement virtuel. Bien entendu, les appartements dans lesquels vous êtes invités sont désespérément vides ! Dans Second Life, il est nécessaire d’acheter en espèces sonnantes et trébuchantes (mais converties en Linden Dollars) un lopin de terre où s’installer. On peut aussi acheter des biens pour meubler son foyer virtuel ou pour vêtir son avatar (j’ai croisé une femme très élégante qui m’a avoué que sa robe lui avait coûté 1000 Linden Dollars). Il semble que dans ce monde-là, il est possible de gagner de l’argent (en ouvrant une boutique par exemple), mais acquérir son pécule avec une carte de crédit est beaucoup plus simple. Quoi qu’il en soit, il y a une économie virtuelle qui fonctionne dans ce monde-là. Dans Habbo, il faut gagner à des concours pour espérer obtenir quelques espèces et là aussi, la carte de crédit (de papa !) semble incontournable.
Quelle est donc la raison qui pousse des êtres de chair à dépenser de l’argent souvent durement gagné pour améliorer la vie d’un avatar dans un monde virtuel ? Atteint-on le sommet du comportement consumériste : le consommateur achète un bien non matériel (ce qui n’est du reste pas si rare qu’on l’imagine) dont il ne peut pas profiter dans le monde réel ? S’agit-il plutôt de barrières que les promoteurs des mondes artificiels veulent créer pour « trier » indirectement leur clientèles : il y a un produit d’appel gratuit, puis divers services payants ? Cependant en jouissant de ces services, on est assuré de rester entre gens du même monde, phénomène qu’on retrouve déjà dans le domaine des sites de rencontre. Imaginez par exemple l’effet que peut produire un appartement joliment meublé dans Habbo ou bien une maisonnette dans Second Life! Ou bien le monde virtuel est-il en train d’acquérir une certaine substance ? Ce qui se vit dans le monde virtuel a des conséquences dans le monde réel et vice-versa. Dans ce cas, les ponts entre monde virtuel et monde réel (SL et RL dans le jargon de Second Life) ne pourront que se multiplier. A suivre …
* l’avatar désigne, dans la mythologie hindoue, les diverses incarnations d’une divinité.