Catégories
Musée virtuel Tendances

Recherche visuelle

Lors du sommet Web 2.0 qui s’est tenu début novembre à San Francisco (à guichets fermés)*, le premier moteur de recherche visuel disponible en ligne** a été présenté:

http://www.like.com/

Il s’agit de la version alpha. Nous l’avons testée pour vous. En partant du constat que de nombreux contenus disponibles sur Internet sont difficilement accessibles, ses initiateurs ont mis au point une technologie permettant de créer une « signature » qui décrit une image. Ainsi des objets semblables à l’objet sélectionné au départ peuvent être retrouvés. Le corpus de départ se limite à un choix de sacs, de chaussures, de montres et de bijoux à vendre (l’application est plutôt orientée e-commerce).

La recherche selon la forme générale marche assez bien et les requêtes effectuées selon la couleur obtiennent des résultats convaincants. Le moteur de recherche permet aussi de retrouver dans le corpus (limité au type d’objets sélectionnés: sacs ou bijoux) un détail semblable au lieu de la forme général. Cela marche moyennement. Globalement, la limitation du corpus ne permet guère de tester complètement cette technologie. On aimerait par exemple retrouver un motif (une croix, une fleur) dans un corpus beaucoup plus vaste. Il semble qu’il sera possible prochainement de télécharger ses propres images (conformément à la philosophie du Web 2.0).
Ce type d’application ira certainement en s’améliorant. On imagine déjà aujourd’hui l’intérêt d’un tel outil. Ses promoteurs le vantent en disant qu’il est possible de trouver les accessoires de mode que vous enviez à vos copines. Mais les historien d’art, les spécialistes d’archéologie ou d’ethnographie en feraient sans doute d’autres usages. Il serait ainsi possible de chercher à travers de vastes corpus, tableaux de maîtres, enluminures médiévales, vases grecs, etc., certains motifs. Les philologues et les spécialistes possèdent depuis longtemps déjà des outils permettant de rechercher des occurences de mots ou de groupes de mots dans d’immenses corpus (comme l’ensemble de la littérature grecque***). Cela permet de gagner un temps précieux et élargit le champ des recherches: avant on devait compter sur sa propre mémoire, la bonne organisation de ses notes ou le travail de bénédictin de ceux qui répertoriaient toutes les occurences de tous les mots pour un auteur.
Un tel moteur de recherche intégré à un musée virtuel constituerait aussi un formidable avantage. Nous avons déjà parlé ici de la folksonomy et des difficultés, pour le grand public, de trouver les concepts correspondant à des oeuvres d’art ou des objets de musée. Les visiteurs pourraient rechercher des objets à partir d’un objet du musée ou d’une image qu’ils téléchargent eux-mêmes, photo d’un objet de comparaison ou croquis.

* http://www.web2con.com/

** Il est peut-être bon de rappeler que Google Images fonctionne à partir du nom et de l’indexation du contexte d’un fichier graphique.

*** http://www.tlg.uci.edu/

Catégories
Tendances

Qu’est-ce que le Web 2.0?

On parle souvent du Web 2.0. Mais qu’est-ce que c’est exactement? Il s’agit d’applications Web basées sur la participation des utilisateurs et la collaboration. Le tableau ci-dessous compare des applications Web classiques à celles du Web 2.0.

Web 1.0 Web 2.0
DoubleClick –> Google AdSense
Ofoto –> Flickr
Akamai –> BitTorrent
mp3.com –> Napster
Britannica Online –> Wikipedia
personal websites –> blogging
evite –> upcoming.org and EVDB
domain name speculation –> search engine optimization
page views –> cost per click
screen scraping –> web services
publishing –> participation
content management systems –> wikis
directories (taxonomy) –> tagging (« folksonomy »)
stickiness –> syndication

L’exemple le plus éclairant est peut-être celui de l’encyclopédie en ligne. Dans le modèle classique, on a une encyclopédie conçue par un éditeur et rédigée par des auteurs spécialement choisis. Dans le Web 2.0, ce sont les utilisateurs qui constituent eux-mêmes le contenu de l’encyclopédie, qui est en outre continuellement corrigée.

Source:

http://www.oreillynet.com/pub/a/oreilly … eb-20.html

et une traduction française du même article:

http://web2rules.blogspot.com/2006/01/w … rsion.html

Catégories
Communautés virtuelles Musée virtuel Tendances

Le plus grand brainstorming du monde

IBM vient de décider d’investir 100’000 millions de dollars dans des applications novatrices dans le domaine du Web 2.0, de la visualisation 3D et de l’informatique pour la santé, l’économie, les entreprises. Pour savoir comment investir une telle somme, IBM avait lancé au cours de l’année 2006 le plus vaste exercice de brainstorming jamais tenté. Bien entendu, en recourant aux potentialités du Web.
150,000 personnes provenant de 104 pays y ont participé. Parmi elles, on trouve des employés d’IBM, des membres de leurs familles, des universitaires, des partenaires commerciaux et des clients de 67 compagnies. Au cours de sessions de 72 heures, qui se sont déroulés en deux parties (juillet et septembre), 46’000 idées ont pu être récoltées. Chacun était invité à participer à cet exercice en se rendant sur le site suivant:

http://www.globalinnovationjam.com/get_ … ndex.shtml

Des esprits chagrin pourraient penser qu’il s’agit d’un pillage d’idée à grande échelle. Chaque émetteur d’une suggestion aurait pu déposer un brevet ou lancer sa propre entreprise. Mais ce n’est pas si simple d’inventer une idée totalement originale ou de devenir un e-milliardaire. L’heure est à la construction collective. IBM est une immense machine et si elle réalise ne serait-ce qu’un petit pourcentage de ce qui a été émis, cela profitera à la compagnie elle-même, mais certainement aussi à tous. En tous les cas, les produits issus de cet exercice sont assurés d’avoir un public, une clientèle. L’intelligence collective est peut-être en train de naître. Notre monde est complexe. Des compagnies comme IBM sont complexes. Comment serait-il possible de gérer leur devenir dans un groupe restreint de personnes? Les états devraient bien s’inspirer de semblables exercices pour consulter leurs citoyens.

Parmi les projets d’IBM, les mondes virtuels en 3 dimensions sont en bonne place. IBM va créer son propre environnement 3D.La compagnie utilise déjà Second Life pour organiser des réunions. La compagnie y construit aussi une réplique en 3 dimensions de la Cité interdite qui sera prochainement ouverte aux cybertouristes. Décidément le musée virtuel est en marche… *

Pour en savoir plus:

http://www-03.ibm.com/press/us/en/press … /20605.wss

http://www.itnews.com.au/newsstory.aspx … =site-marq

* IBM est une compagnie active dans l’adaptation des technologies de l’information au domaine culturel. Outre son projet concernant la Cité interdite, elle a déjà créé un site sur l’Egypte ancienne et a mis au point des systèmes de visualisation pour le musée de l’Hermitage à Saint-Pétersbourg.

http://www.ibm.com/ibm/ibmgives/grant/arts/

Catégories
Tendances

Une conférence sur les blogs

Le programme de cette conférence présente les enjeux essentiels du moment:

le Web 2.0

la mort annoncée de la radio et de la télévision?

l’intégration de la technologie des mobiles dans le Web 2.0 (et son contraire)

les univers virtuels (comme Second Life) et leurs implications dans nos vies

le Web 2.0 comme fondement d’un nouvel espace public

Pour plus de détails, allez sur le site de la Conférence:

Conferenceleweb3paris2006_1

Catégories
Livre Revue de presse Tendances

Le Web a son histoire

L’histoire d’Internet est déjà en train de s’écrire. Manuel Castells, dans son ouvrage « La Galaxie Internet », en a déjà déterminé cinq phases. Un spécialiste canadien d’Internet considère qu’avec le Web 2.0, Internet entre dans une nouvelle période, bien que ses outils ne soient pas tous nés récemment et sans que les particularités des phases précédentes soient forcément effacées.

La première phase, celle des militaires, est bien connue et fait partie de la légende dorée du Net.
On doit à la période suivante, celle des techniciens et des scientifiques, les progrès grâce auxquels le Web est devenu utilisable pour des non-informaticiens: mentionnons Tim Berners-Lee, l’inventeur du WWW.
Sont venus ensuite des informaticiens qui érigeaient la liberté comme valeur fondamentale et qui ont bouleversé les règles du jeu. C’est la naissance de l’open source et du tout gratuit. Cette phase marque le Web de manière assez fondamentale.
Internet s’est alors transformé en une vaste communauté d’échanges, grâce à des outils comme les forums, les sites de tchatche.
Est venu le commerçant qui a pensé qu’Internet pouvait devenir un grand marché. Comme la grenouille de la fable, la bulle spéculative a enflé et a explosé. La Net-économie n’en est pas pour autant morte. Elle revient même en force, mais avec de nouveaux modèles. Témoin: la saga de Google et son concept de publicité en ligne.
Le Web 2.0 est peut-être une synthèse de toutes ces périodes et/ou l’aube de l’ère de l’intelligence collective que certains prédisent.

Pour en savoir plus:

Manuel Castells, La galaxie Internet, Fayard 2002
Article de Martin Lessard sur Agora Vox: http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=13730

Catégories
Musée virtuel Tendances

Taguer des oeuvres d’art

Les visiteurs d’un musée d’art ne vont pas décrire des oeuvres de la même manière que des conservateurs ou des historiens de l’art. Par conséquent, ils ne vont pas les chercher avec les mêmes termes sur un site Internet. Les spécialistes classent les tableaux selon des styles, des écoles, des périodes. Ces concepts restent méconnus du grand public qui ne fera pas une nette différence entre symbolistes et peintres pompier.
C’est la raison pour laquelle certains musées essaient d’ouvrir l’indexation des oeuvres au public. Cela est possible grâce à Internet. Sur les sites de ces musées, les visiteurs ont la possibilité de saisir des mots-clés. Ces mots-clés sont communément appelés des tags et cette approche est connue sous les noms anglais de « folksonomy » (folksonomie) ou de « social bookmarking » (indexation collaborative). Cette approche, typique du Web 2.0, ne se limite d’ailleurs pas aux oeuvres d’art, mais s’étend à tout ce qui se publie sur le Net, des photographies aux listes de liens.

Les musées peuvent ainsi exploiter ces termes et faciliter l’accès des visiteurs aux oeuvres. Cela permet de combler le fossé qui existe forcément entre spécialistes et amateurs. L’indexation collaborative est aussi un des instruments de l’intelligence collective qui jaillit du Net. Il ne s’agit pas, dans ce domaine, que des savants apprennent à des ignorants, mais de faire naître le sens ensemble.

Sites de musées « tagables »:

http://www.clevelandart.org
http://magart.rochester.edu/

Steve, outil de réunion et d’analyse de la terminlogie vernaculaire:
http://www.steve.museum/

Catégories
Général Tendances

Matrix et philosophie

Nous avons fait récemment une critique d’un débat consacré à Matrix dans le cadre du 2ème Festival de philosophie de Fribourg. Suite à cette critique, un des intervenants du débat, Frédéric Grolleau, m’a transmis un lien conduisant vers le texte qu’il avait préparé pour cette soirée et qu’il n’a pas pu présenter complètement, le débat avec le public ayant démarré très vite.
Ce n’est pas que je veuille me faire pardonner en publiant un lien vers lui ici, mais j’ai trouvé cet article vraiment très intéressant. Je pense que s’il avait pu être prononcé lors du débat, cela aurait éclairci bien des points.

Il comporte trois parties:

– une critique très fouillée de Matrix
– la différence entre réel et virtuel, où il est fait référence aux travaux de Gilles Deleuze et de Pierre Lévy, auxquels nous nous référons souvent ici. L’auteur y relate aussi une expérience de pensée du philosophe américain John Searl à propos d’un homme enfermé dans une chambre avec des manuels de chinois et les règles pour les utiliser. L’homme peut ainsi répondre à des questions posées par un vrai Chinois, sans parler lui-même le chinois. Pour ce philosophe, il en va de même pour une machine de Turing (à la base de l’architecture de nos ordinateurs): elle ne fait que combiner des états, lesquels ne sont pas pour elle des symboles, même s’ils le sont pour ses constructeurs ou les hommes qui l’observent.
– la question du réalisme. C’est une partie très intéressante de l’article, qui pose la question essentielle de l’existence de la réalité en dehors de la construction que nous en avons (toujours la caverne de Platon). On y trouve une autre expérience de pensée de Hilary Putnam, celle d’un cerveau déposé dans une cuve remplie de liquide nutritif et relié à des ordinateurs procurant à ce cerveau l’illusion de ce qui est normal. Comment ce cerveau pourrait-il s’apercevoir qu’il est dans une cuve et non pas là où l’ordinateur lui fait croire qu’il est?

En conclusion, Frédéric Grolleau démontre que la philosophie peut nous permettre de réfléchir à ce qui est en train de se passer aujourd’hui sous nos yeux: une informatisation toujours plus importante du monde, une virtualisation des activités grâce à Internet, un développement des univers virtuels, des « matrices » (avec toutes les addictions que cela entraîne, preuve que le passage de la simulation au simulacre n’est pas un phénomène isolé). Il y a en effet, une certaine urgence à construire des ponts entre les philosophes, les scientifiques et tous ceux qui s’intéressent au fonctionnement d’Internet et aux interfaces homme-machine, afin de trouver des réponses à toutes ces questions si neuves, auxquelles même des philosophes très anciens peuvent contribuer à répondre. Cet article a en tout cas le mérite de nous indiquer certains auteurs dont la lecture semble incontournable.

http://www.fredericgrolleau.com/article-4014871.html

Frédéric Grolleau entretient aussi Coldo-Philo, un site sur lequel on trouve des textes philosophiques fondamentaux:

http://www.webzinemaker.com/esm05/index.php3

On y retrouve les deux expériences de pensée mentionnées:

H. Putnam, Cuve & cerveau

J. Searle, La Chambre chinoise

Catégories
Tendances

L’avenir du journalisme

Après l’industrie de la musique, c’est à la presse d’être chamboulée par le développement d’Internet et des technologies de l’information. Quel est l’avenir de ce paysage médiatique en pleine tempête ? Bien malin est celui qui pourra le prévoir. Actuellement on voit jaillir toutes sortes de tentatives, les unes plutôt réjouissantes, les autres porteuses de craintes. Petit survol.
Ce qu’on appelle le journalisme citoyen se développe sur le Net, à travers les blogs ou sur des sites collaboratifs comme Agoravox*. Les contributeurs ne sont pas rétribués de manière directe pour leur travail de recherche ou d’écriture, mais ils trouvent sur le Web une tribune. Ils constituent une alternative bienvenue à la presse traditionnelle, souvent imbriquée dans des conglomérats financiers et de plus en plus soumises à des impératifs économiques*.
Parmi les initiatives intéressantes, il y a celle de Jay Rosen, professeur de journalisme à New York University. Il préconise une sorte de journalisme open source : les idées de reportage proviennent des utilisateurs du site, qui vit de donations**. Ainsi on évite des intermédiaires entre le public et le journal en ligne. Le lancement du site est prévu pour l’an prochain. Il sera intéressant à suivre. C’est un système à double tranchant : les responsables du site pourraient être tentés de suivre la ligne souhaitée par les donateurs.
A l’opposé, une firme de conseils financiers, Thomson Financial, vient de lancer ce qu’on pourrait appeler le journalisme automatique****. Un système informatique recueille les informations financières, comme les résultats des entreprises. Il fabrique ensuite des dépêches pour les envoyer à des clients abonnés. Tout ce processus se déroule sans l’intervention d’un être humain. Le système compare par exemple le résultat annuel d’une firme au précédent. Le but du système est d’envoyer des nouvelles le plus rapidement possible, avec les risques que cela comporte. En effet, les marchés financiers sont très réactifs et il faut espérer qu’il n’y ait pas trop de failles dans l’algorithme à la base de ce système. La rédaction automatisée de brèves ne pourra se cantonner que dans des secteurs très limités, facilement programmables, ou à des systèmes rassemblant des dépêches. La critique littéraire ou le commentaire politique ont encore de beaux jours devant eux.


Automate créé par Jaquet-Droz au 18ème siècle, intitulé l’écrivain
Photo: Wikimedia Commons, Rama

Il est probable que les journaux en ligne seront, à l’avenir, un mélange entre journalisme professionnel et collaboration des lecteurs. Ces derniers fourniront des informations, commenteront les nouvelles qu’ils lisent, débattront en ligne, entretiendront des blogs sur les sites des journaux, comme c’est déjà le cas actuellement. Le travail des rédacteurs sera d’assurer une certaine cohérence à l’ensemble.

* http://www.agoravox.fr
** pour en savoir plus sur ce thème, il faut lire l’ouvrage de Joël de Rosnay, La révolte du pronétariat.
*** http://journalism.nyu.edu/pubzone/weblo … dn_qa.html
**** http://www.ft.com/cms/s/bb3ac0f6-2e15-1 … e2340.html

Catégories
Culture Musée virtuel Tendances

Vers un musée virtuel de la Suisse?

Internet provoque de profonds bouleversements dans les domaines les plus divers: industrie de la musique, du cinéma, commerce, médias. Qu’en est-il des institutions culturelles et des musées plus particulièrement? Y a-t-il virtualisation du contenu des musées?
J’ai consacré une étude à ce thème (dans le cadre d’une formation post-grade). Vous trouverez le contenu de cette étude à l’adresse suivante:

http://www.duplain.ch/virtualmuseum/complet.pdf

Dans ce travail, j’ai cherché à voir comment les musées pouvaient tirer parti du média Internet pour remplir leurs missions. J’ai également analysé un échantillon d’environ 200 sites de musée suisses, afin de mieux connaître la place qu’occupe le paysage muséal suisse sur Internet. Cette analyse montre que les musées suisses utilisent Internet essentiellement dans un but de communication institutionnelle. Une des raisons qui peut expliquer cette situation est certainement la taille des musées suisses, qui ne peuvent rivaliser avec les grands musées comme le Louvre ou le British Museum.
Mon étude aboutit donc à l’idée d’un musée virtuel de la Suisse dont le but serait à la fois de permettre aux musées d’avoir une place sur Internet, de créer un espace de partage des contenus et de promouvoir les musées.

Les réflexions initiées dans ce travail continuent. Mes idées évoluent et vous en trouverez régulièrement des échos dans ce blog. Une des pistes que je veux suivre est celle de l’accumulation de connaissances sur Internet. Les musées, les bibliothèques, les archives numérisent peu à peu leurs contenus. Le Web devient un espace virtuel du savoir. Quelles sont les implications de cet état de fait? Que deviendront les connaissances et les contenus qui n’auront pas trouver le chemin du Net?

Catégories
Tendances

Le grand fossé

Le 2ème Festival de philosophie de Fribourg a voulu traiter des mutations actuelles induites par le développement de l’informatique, des réseaux et d’Internet, en partant du film Matrix. Pour cela, ses organisateurs ont invité deux philosophes qui ont vu Matrix, Patrice Maniglier* et Frédéric Grolleau**, ainsi que Thierry Crouzet***, l’auteur du Peuple des connecteurs qui a eu le grand mérite, dans son livre, de montrer les développements scientifiques qu’il est essentiel de connaître pour pouvoir réfléchir à ce qui se passe sous nos yeux.

On a malheureusement assisté à un dialogue de sourds. Les deux philosophes, se réclamant d’une longue tradition, tentaient de voir quelles questions ce film pouvait poser et sous quel angle. On en revenait sans cesse à des questions classiques (et certainement essentielles) comme celle de la liberté, y compris dans le public. De son côté, Thierry Crouzet, installé sur le tabouret encore un peu brinquebalant d’une science très neuve qui remet profondément en question l’approche classique newtonienne (pour mémoire: sciences de la complexité), a montré quelles étaient les conditions technologiques pour créer une matrice. Il a aussi souligné un fait important auquel j’adhère depuis longtemps: les plus grands penseurs du XXème seront peut-être les auteurs de Science-Fiction. Ces derniers ont pensé à des problèmes tout à fait inédits que les philosophes traditionnels n’ont même pas pu envisager comme la vie avec des machines.
Frédéric Grolleau a expliqué que les frères Wachowski se sont inspirés de l’ouvrage de Baudrillard, Simulacre et simulation, auxquels ils font une allusion directe dans le film. Matrix tient du simulacre, une simulation que l’on fait passer pour vraie (alors que dans le cas d’une simulation, on sait qu’elle n’est pas réelle: c’est le cas du simulateur de vol). On peut se demander si cette distinction a encore une validité quand on voit ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine des univers virtuels (jeux en réseau, Second life). Il y a une imbrication complexe du réel et du factice. Une fois de plus, les concepts virtuel et actuel de Pierre Lévy sont bien plus opérants: un monde de possible s’actualise dans le réel.
Heureusement pour le débat, une personne dans le public a relevé qu’il y avait beaucoup de matrices déjà en activité actuellement.Et c’est là toute la question: comment vivre avec ces matrices? Comment entre-t-on et ressort-on de ces matrices? Patrice Manilier a convenu que c’était la question essentielle. Il faudra d’autres débats pour savoir comment y répondre.
Est-ce que seuls les philosophes peuvent faire de la philosophie? Est-ce qu’il n’y a pas d’autres approches du monde comme la science qui peuvent aussi répondre aux questions essentielles? Comment faire dialoguer ces différentes approches? Les développements de l’informatique et des réseaux posent d’immenses questions, très nouvelles. Comme cela a été rappelé dans ce débat, on sait faire et lancer aujourd’hui des programmes qui ont ensuite un comportement imprédictible. Que penser de cela? Faut-il développer une philosophie de l’informatique, comme on a déjà une philosophie des sciences ou une philosophie du droit?

* un des auteurs de « Matrix, machine philosophique », 2003
** il a laissé un texte sur Matrix à l’adresse suivante: http://www.fredericgrolleau.com/article-3636249.html
*** http://www.tcrouzet.com/

NB: cette note a été légèrement modifiée, suite à un débat constructif avec l’un des philosophes mentionnés, Frédéric Grolleau, débat qui s’est fait par mail. Sa réaction première se trouve dans le commentaire ci-dessous. Il nous a aussi fait parvenir le texte de l’intervention qu’il aurait souhaité faire le jour de ce débat, mais pour laquelle il ne disposait pas de suffisamment de temps. Ce texte est très intéressant et donne des pistes concernant les questions que nous posons. Le lien se trouve dans une autre note.
En définitive, ce débat aurait dû être mieux préparé et balisé par ceux qui l’ont organisé.