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Littérature numérique

Dans le domaine de la numérisation du savoir, il est des initiatives plus adaptées à leur objet que d’autres. C’est certainement le cas du projet Artamène. Peu d’entre nous savent que le roman le plus long de la langue française, intitulé « Artamène ou le Grand Cyrus », compte 13’000 pages dans son édition originale (combien de mots ?), soit un demi-mètre de rayonnage de bibliothèque. Ce texte a été composé au 17ème siècle, pour être lu dans les salons. Son auteur n’est pas connu avec une totale certitude : attribué à Georges de Scudéry, il aurait plutôt été écrit par sa sœur Madeleine. Son intrigue principale raconte les amours de Cyrus, le roi de Perse, et de Mandane, mais elle contient toute une série d’histoires secondaires. Cette œuvre a eu un grand succès à son époque, si l’on en juge par les allusions qu’on retrouve dans le reste de la littérature contemporaine. Mais son format lui a fermé les portes d’une grande renommée dans les siècles qui ont suivi.


Madeleine de Scudéry, Bibliothèque Nationale de Paris

Internet pourrait redonner une nouvelle vie à cette œuvre. C’est en tout cas le pari fou qu’a fait Claude Bourqui, professeur boursier à la Faculté des Lettres de l’Université de Neuchâtel. Pendant trois ans, avec une équipe de trois personnes, il a mis en œuvre la numérisation de ce texte et l’a publié intégralement sur un site Internet. Contrairement à ce qu’on trouve habituellement dans les bibliothèques virtuelles, ce n’est ni un fichier sorti du scanner (ce qu’on voit souvent sur Gallica), ni le texte brut (comme dans le projet Gutenberg). Il s’agit d’une sorte d’hypertexte*, conçu pour une lecture à l’écran et la recherche d’extraits. En effet, le texte est découpé en morceaux correspondant aux pages de l’édition prise en compte (1656). Mais chaque partie du roman a deux niveaux de résumé, ce qui évite au lecteur la lecture totale de l’œuvre et ce qui lui permet de choisir les extraits qu’il souhaite ou bien de trouver des histoires secondaires. Quand on arrive dans le texte original (avec l’orthographe de l’époque), on trouve des liens hypertextuels sur les noms propres, qui conduisent vers un index des personnages, ce qui est appréciable pour un récit qui met en scène plus de quatre cents personnages.
Le site est pourvu d’une boîte à outils comportant de nombreuses fonctionnalités, rendant son utilisation confortable : choix entre présentation sous forme de page ou texte continu, disparition des résumés, agrandissement de la police (pour les personnes malvoyantes), etc. Il offre aussi la possibilité de télécharger l’ensemble du texte en divers formats (pdf, doc, txt, etc.). Il est doté d’un moteur de recherche plein-texte mis au point par l’Université de Chicago (Philologic). Le texte présenté ne constitue pas une édition scientifique, mais outre l’index des personnages, le site contient diverses ressources sur Artamène : articles, liens, bibliographie.
Les choix technologiques sont aussi à relever: xml pour l’encodage du texte et des logiciels open source.
Nous avons souvent évoqué dans le blog l’effet diligence : trop de contenus présentés dans Internet sont encore profondément influencés par leurs versions matérielles. Le site que nous venons de présenter tire au contraire parti des possibilités du Web pour redonner une seconde vie à une œuvre.

Adresse du site: http://www.artamene.org/

* J’ai écrit à dessein « une sorte d’hypertexte », car il ne s’agit pas de l’hypertexte comme on l’entend habituellement, basé sur des liens. Cependant la navigation via des résumés permet aussi une virtualisation du texte. Dans le cas précis, il y a une certaine nécessité de maintenir l’aspect « linéaire » du texte, à cause de sa trame dramatique.