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Virtuel, mon amour

Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, vient de consacrer un livre aux relations humaines dans les mondes virtuels. Il parle non seulement de tous les liens que nous pouvons établir ou renforcer grâce à diverses applications disponibles sur Internet, mais aussi des conséquences de ces applications sur les rapports humains: dans le couple, dans la famille et avec les amis.

Virtuel mon amour

L’auteur peint une image contrastée des mondes virtuels: ils peuvent avoir des conséquences heureuses dans certains cas (quand ils aident des enfants à affronter d’abord dans le virtuel certaines situations), mais aussi négatives (comme dans les cas d’addiction).

Il relève que ces mondes virtuels ne sont pas issus du néant. Avant Internet, il y avait déjà le téléphone. La lecture de fiction aussi, on l’oublie souvent, était aussi une manière de se plonger dans d’autres univers, de prendre la place d’un personnage. La lecture a même été considérée comme néfaste: que l’on songe au livre de Flaubert, Madame Bovary. Il reconnaît cependant que les mondes virtuels qui émergent maintenant (téléphonie mobile, réseaux sociaux, Second Life, …), de part leur persistance, constituent un nouvel univers avec lequel il faudra apprendre à vivre. Les enfants y sont plongés très tôt. Malheureusement leurs parents sont peu préparés à les accompagner. De plus, ils ont tendance à considérer le temps passé dans les mondes virtuels (notamment les jeux en réseaux) comme un moment de loisir. Leur seul souci est d’éviter que ce temps empiète sur les devoirs. Les parents devraient cependant être conscients que les enfants acquièrent aussi des compétences et font une partie de leur socialisation dans ces univers et ils seraient bien inspirés de s’y intéresser. On commence à voir dans certains jeux des couples pères-fils (ou mères ou filles) , mais c’est encore rare. Même pour les grandes personnes, les mondes virtuels peuvent avoir du bon: les jeux constituent pour les enfants un « espace potentiel ». Grâce à des applications comme Second Life, les adultes peuvent disposer eux aussi de tels espaces où ils peuvent se mettre en scène, interagir avec des objets ou d’autres avatars.
L’auteur montre aussi le rôle de plus en plus envahissant de ces mondes virtuels dans notre vie par le truchement des machines qui nous permettent d’y accéder. D’après lui, les gens se comportent avec leur téléphone portable comme des enfants avec leur doudou. Le téléphone a un côté rassurant: il permet de relier immédiatement avec ses proches, comme le doudou rappelle à un bébé le parent absent. Une très belle page compare aussi notre attitude vis-à-vis d’un répondeur aux réactions observées lors de l’expérience dite du miroir: une maman adopte pour un temps limité une attitude figée (p. 152). Le bébé s’affole d’abord, puis il essaie de renouer le contact. La mère ne réagissant toujours pas, le bébé montre alors son caractère. Certains insistent, d’autres deviennent tristes et, dans le dernier groupe, ils laissent tomber. Selon notre tempérament, nous opteront pour l’une de ces attitudes, non seulement face à un répondeur, mais aussi vis-à-vis d’un contact qui ne nous répond pas, que l’on soit sur MSN ou Second Life.

Ce livre est assez simple à lire et basé sur des cas pratiques. Il est très riche, évoquant de multiples thèmes impossibles à reprendre ici: corporalité et Internet, attitudes face aux images des écrans, tendance à effectuer plusieurs tâches en même temps, nature de l’avatar, … Un regret toutefois à la suite de cette lecture: la définition du virtuel que l’auteur adopte n’est guère convaincante. Il mentionne la définition donnée par Aristote: ce qui est en puissance, en devenir, en donnant l’exemple classique de la graine et de l’arbre. Il termine par cette remarque:

Mais peu importe, car cette définition, la seule utilisée pendant deux millénaires, a pratiquement disparu aujourd’hui sous l’effet des technologies numériques (p. 53).

Il adopte alors la définition adoptée dans le domaine des jeux vidéos et de l’image de synthèse. Or Pierre Lévy, dans ses travaux, a montré tout l’intérêt que cette définition (reprise par la scolastique médiévale) avait pour traiter des nouvelles technologies en réseaux.

Sur cette question, voir la page « Le virtuel » de ce blog.