Une journée consacrée au thème de la « Modélisation à la rencontre de l’archéologie et de l’architecture » s’est déroulé le vendredi 1er septembre à l’Université de Lausanne, dans le cadre de son offre de formation continue.
On a pu y voir les possibilités offertes par les technologies numériques à l’archéologie et à l’architecture, quand cette dernière se met au service de l’étude des monuments anciens (et partiellement détruits). On pense naïvement que la numérisation de données informatiques permet uniquement de produire des reconstitutions destinées au grand public. Mais il y a d’autres usages, et non des moindres. En voici quelques exemples :
– Simulation : grâce à la numérisation en 3D de monuments ou d’objets anciens, il est possible de faire des simulations permettant de tester plusieurs hypothèses de reconstitution d’un monument. Il est aussi possible d’aller plus loin dans cette voie : un des participants a construit des modèles numérisés de fours à métaux antiques dans l’espoir de simuler leur fonctionnement.
– Sauvegarde et restauration : conserver une version en 3D d’un monument ou d’un objet en permet la sauvegarde. Si l’original vient à disparaître suite à un incendie ou tout autre catastrophe, il est possible d’en créer une copie à partir du modèle 3 D, en utilisant soit ce qu’on appelle communément une « photocopieuse 3D », c’est-à-dire une machine permettant de découper un objet en 3 dimensions dans une masse de plâtre ou de résine. On peut aussi recourir à des robots tailleurs de pierre pour des objets plus massifs. C’est ainsi qu’une équipe française a pu reconstituer une représentation grecque d’un Sphinx selon cette technologie*.
– Exploitation de bases de données : cet usage, peu connu, fait cependant rêver. Un monument modélisé en 3 D peut être visualisé. Chacune de ses parties est cliquable et permet d’accéder à une documentation la concernant, qu’il s’agisse de textes ou d’images. On est proche du musée virtuel. Imaginez que vous vous promeniez dans un tel modèle en 3D de la ville de Pompéi. Sur chaque peinture, sur chaque objet, vous pouvez obtenir des informations en cliquant dessus. Pour l’instant ce n’est qu’un rêve, à cette échelle, car ces applications demandent beaucoup de mémoire. Mais peut-être que dans quelques temps, ce sera réalisable.
Modéliser suppose des données. Ces dernières peuvent être obtenues par des méthodes classiques, mais également grâce à des scanner 3D, qui peuvent saisir aussi bien des monuments entiers que des objets. Là aussi, le but dépasse celui de la présentation en 3D sur support numérique. Cette technique peut être utilisée dans le cadre de la restauration, car il vaut mieux essayer d’abord sur l’ordinateur. Elle sert aussi à la recherche : en effet, on a pu comparer deux carquois scythes trouvés à 1000 km de distance, en Russie, et démontrer qu’il s’agissait d’objets jumeaux, grâce à la comparaison des modèles numérisés. On a pu recourir à la même technique pour retrouver des vases romains issus d’un même moule, mais dispersés sur une vaste aire géographique (à cette époque, il y avait déjà une sorte de globalisation).
Ces outils offrent des possibilités extraordinaires, mais il importe de savoir comment les utiliser. Il faut rester conscient tout d’abord qu’il s’agit toujours de représentations et que, quel que soit leur mode de production, elles restent empreintes d’une certaine subjectivité. Les personnes qui manipulent ce genre d’images n’en sont pas toujours conscientes, puisqu’elles parlent souvent d’images en trois dimensions ou de réalité virtuelle. La première de ces expressions est vide de sens : l’écran de l’ordinateur, comme un tableau ou une feuille de papier, est une surface plane. C’est la perspective qui donne l’illusion de la 3ème dimension. Quant à la notion de réalité virtuelle, elle conduit à des questions quasi philosophiques que nous ne pouvons aborder ici. Bornons-nous à rappeler que le terme virtuel est en général associé à l’idée d’irréel, alors qu’il est plus proche de celle de potentiel. Le terme d’images de synthèse, couramment utilisé dans le cinéma, correspond mieux au processus qui vise à reconstruire une image donnant l’illusion du volume, à partir de coordonnées tridimentionnelles, et qui est souvent animée.
Ces reconstitutions archéologiques sur ordinateur posent divers problèmes et notamment celui de leur validité scientifique. Souvent elles impressionnent ceux qui les ont sous les yeux et ne sont guère critiquées. Il faut tout d’abord souligner que, malgré la possibilité de prendre des mesures avec des moyens automatiques, rien ne remplace l’observation réelle d’un monument. Certaines traces ne seront pas perçues par le scanner 3D, des traces d’incendie par exemple. De plus, si la version numérique est maniable et permet de jouer avec des blocs de pierre numérisés, elle n’apporte pas les solutions de manière magique. La réflexion reste nécessaire. De plus, il est essentiel que l’ensemble du processus soit transparent pour l’utilisateur final, souvent un visiteur de musée ou de site web. Les reconstitutions numériques sont de très belles images, bien finies, dans lesquelles on a l’impression de se promener. Une certaine déontologie imposerait cependant de montrer l’existant avant sa reconstitution et d’indiquer clairement ce qui est conservé et ce qui est restitué. Il faut également éviter de tomber dans les excès baroques ou kitsch dans le domaine de l’esthétique et opter pour une certaine sobriété. Comme dans beaucoup de domaines, la meilleure voie est celle du milieu, entre la voie conservatrice, qui en reste aux outils traditionnels, et la voie technophile qui cherche avant tout à créer la surprise de l’utilisateur, constituée d’un savant mélange entre le réel et son image numérique. Le projet présenté tout au début de la journée intitulé LIFEPLUS** en est peut-être un exemple. Développé par le MiraLab de Genève, le Laboratoire de réalité virtuelle de l’EPFL, avec d’autres partenaires, cette initiative permet aux visiteurs du site de Pompéi, munis de lunettes spéciales et d’un sac à dos contenant un ordinateur portable, de visualiser dans les ruines même du site des scènes de la vie antique, comme s’ils y étaient. Ainsi on peut voir un enfant courir, une servante coiffer une patricienne dans une villa, des personnes qui servent des repas dans une boutique le long d’une rue. Ainsi on est ni tout à fait dans le réel, ni tout à fait dans la reconstitution. Dans ce cas, on parle de réalité augmentée. Mais bien entendu, ce n’est pas encore la virtualité dans laquelle Théophile Gautier a plongé Octave, le héros de la nouvelle « Arria Marcella », qui se promène dans les ruines de Pompéi et voit peu à peu la ville s’animer. Car cette virtualité-là est celle du rêve et pour peu qu’on sache la nourrir, elle est à la portée de chaque humain.
* http://www.snbr-stone.com/robot/sphinx.php; http://www-ausonius.u-bordeaux3.fr/
** http://lifeplus.miralab.unige.ch/
Article sur le projet Lifeplus: